Le France-Angleterre de 1996 reste dans les annales comme l’une des finales mondiales les plus épiques, intenses et palpitantes de l’histoire. Intox, palabres, coups de gueule, renversements, coups de génie… La victoire se jouera au bout du bout du suspense, en prolongation du combat supplémentaire ! A la mort subite ! Les deux héros, Gilles Cherdieu et Wayne Otto, qui sont devenus champions du monde en individuel deux jours après, s’en souviennent comme si c’était hier…
Par Ludovic Mauchien / Photos : Archives FFK
Sun City, 1996. Pour la 4e fois en 10 ans, l’Angleterre et la France s’affrontent en finale des Championnats du monde. Cette fois-ci, ce sont les Français qui s’avancent en tenants d’un titre remporté deux ans auparavant face aux… Anglais. Vont-ils asseoir leur suprématie ? Les English vont-ils reprendre « leur bien » (5 titres de 1982 à 1990) ? L’enjeu est énorme ! La finale le sera tout autant. A l’amorce du dernier combat, l’Angleterre mène 2 à 1 (13 Waza ari à 12). Gilles Cherdieu doit l’emporter par 2 points d’écart face à Tony Gray pour assurer la victoire. La légende commence…
« Ce mec te pourrissait toujours les combats », raconte le Français. « C’est ce qu’il a fait ! J’ai eu un mal fou. Il y a 2-2 puis 4-2. Il revient à 4-3 à… 3 secondes de la fin. Je suis dans un état second. J’arrive à lui mettre un Gyaku Chudan. On gagne (5-3) ! On est champions ! On s’aligne. L’arbitre nous donne vainqueurs. Et là, tout commence… Donovan (le coach anglais) se précipite sur le tapis en hurlant. Il porte réclamation. On reste alignés 10 minutes. Le public siffle. Et les arbitres donnent finalement raison aux Anglais (ndlr : chrono non redémarré) ».
Score final : 4-3. Egalité parfaite après 5 combats. Il faut recourir au combat supplémentaire. « Je le voyais venir ! », poursuit le Français. « Je me disais : « Ca va encore tomber sur moi, cette connerie ! » ! Je ne faisais pas le fier. Quelle pression !!! Je sentais à peine mes jambes. Je me répétais : « Qu’est-ce que je fous là ? » (rires). Une telle pression, tu n’as presque pas envie de la vivre mais, en même temps, c’est tellement beau ».
La tension est à son comble… « On savait que les Anglais nous regardaient. On se réunit en cercle. On décide de me cacher. Le Hétet voit Cole s’échauffer. Alain prend ses gants comme s’il y allait. L’arbitre nous appelle. Wayne et moi surgissons alors de derrière. Ils avaient eu la même idée ! », rigole Gilles Cherdieu.
COMBAT SUPPLEMENTAIRE : 2-2 SUR LE GONG !
Les acteurs sont connus. Fin du suspense ? Que nenni ! Hajime !... « Il était fort, ce mec ! Il était très, très, très fort ! Il n’y a plus un bruit dans la salle. On s’observe. C’est la guerre des nerfs. Je fais une petite erreur. Sanction ! (0-1, 1’45 à jouer). Je sais que si je laisse traîner l’affaire, je ne vais jamais le rejoindre. J’attaque à 3000 à l’heure. Je n’ai jamais autant poussé de ma vie sur mes jambes. Je suis sûr de lui avoir fait mal ! Il ne me l’a pas montré mais la façon dont j’ai tapé, avec la rage, la peur, plein de sentiments mêlés, je suis sûr qu’il a eu mal. Egalité, 1-1. Aucun de nous deux n’ose attaquer. On sait que si l’on commet une faute, on sera immédiatement sanctionné. Et il en commet une petite… Il faisait souvent pichenette jambe avant, feinte de balayage et il enchaînait Gyaku. Il reste à peine 10 secondes. Il me fait sa pichenette. Dès que je sens son pied, je pars Gyaku et je le contre : 2-1 ! Je me mets au centre. Otto me fonce dessus, je le contre et il me fait un truc, l’enfoiré !!!... Il me bloque bras arrière et me contre bras avant. 2-2 sur le gong ! ».
Vu du côté anglais, cela donne ça : « Je maintiens que l’arbitre, à 2 secondes de la fin, était parti pour me donner Ippon et il a changé en Waza, sinon j’aurais gagné », éclate aujourd’hui de rire Wayne Otto. « Je ne pensais pas faire le combat supplémentaire. Je m’étais un peu déconcentré. Gilles était vif. J’ai toujours eu du mal avec lui. En contre, c’était le meilleur ».
« C’ETAIT A QUITTE OU DOUBLE. SI JE LE RATAIS, IL NE M’AURAIT PAS MANQUE ! »
6 combats se sont déroulés. Les équipes sont à parfaite égalité. 3-3, 18 Waza ari partout). L’heure des braves sonne à nouveau : prolongation à la mort subite. « Je n’en pouvais plus !!! », rappelle Gilles Cherdieu. « Je ne savais plus si je devais attaquer ou contrer. Puis Otto commence à faire un truc qu’il ne faisait jamais : des feintes de corps. J’aimais particulièrement ces mouvements qui me donnaient des temps. Il me le fait 1 fois, 2 fois et, sur la 3e, je pars Gyaku Jodan. C’est le plus beau point de ma carrière ! Il ne s’y attendait pas. Il n’a pas bougé. Bon, c’était à quitte ou double. Si je le ratais, il ne m’aurait pas manqué ! ».
« En un instant, tout s’est envolé... », reprend Wayne Otto. « Mais c’est un sentiment très fort d’évoluer à ce niveau. L’un de nous deux devait repartir triste. Ce fut moi. C’est le moment le plus horrible mais aussi le plus fabuleux de ma carrière ! Il m’arrive encore de rêver à ce combat. C’était un super combat ! Affronter un Français était toujours une bataille difficile mais c’était aussi des challenges que nous attendions avec impatience. Chacun avait une mission : prouver qu’il était le meilleur. On s’est fait de bonnes bastons ! J’ai adoré chaque instant (il rit) ».
Gilles Cherdieu pour le mot de la fin : « Je lui dois le respect. C’est un très grand combattant. On se prend dans les bras. Je sens qu’il a besoin d’évacuer. Il me dit : « If you think it’s fair, no problem, man (si tu crois que c’est juste, aucun souci) ». C’était très fair-play ! On se salue et j’éclate en sanglots. Ce sont des moments… Mais ça m’a aussi fait chier… Je respectais et j’admirais Otto. Je le vois, la tête baissée. Il éclate aussi en sanglots. Puis je m’isole. Il fallait que je digère. C’est bon comme moment mais c’est dur mentalement et physiquement. Si j’avais combattu le lendemain, j’aurais perdu ». Le surlendemain, Gilles Cherdieu (-80 kg) et Wayne Otto (-75 kg) devenaient champions du monde en individuel !
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