Elle a illuminé les derniers Championnats d’Europe à Novi Sad (10-13 mai) avec son large sourire et ses deux médailles d’or, en -68 kg et en équipe. La Suissesse Elena Quirici, n°4 au ranking, est engagée au Premier League d’Istanbul (8-10 juin), après… 5 semaines à l’armée où elle effectuait ses classes ! Découverte avec une jeune Karatéka qui se donne les moyens de ses ambitions.

Par Ludovic Mauchien / Photos : K-Photos


 

Elena Quirici est toujours quelqu’un de très avenant et de très disponible, moins ces dernières semaines… Elle « faisait son militaire ». Cinq semaines de classe pour intégrer l’armée suisse comme sportive de haut niveau, formation qu’elle a commencé dans la foulée de ses deux titres de championne d’Europe conquis à Novi Sad (10-13 mai). Et dire qu’en février, elle se faisait opérer du pied, qu’elle a porté une attèle jusqu’à la mi-avril et qu’elle n’était pas à 100% de ses possibilités physiques aux Championnats d’Europe ! Elle a même failli déclarer forfait.

Mais la jeune Suissesse a décidé de prendre du plaisir. Et elle s’est bien amusée ! Le résultat ? Un deuxième titre de championne d’Europe en -68 kg, après celui de 2016 et deux 2e places en 2014 et 2015. Elle a également réussi une performance rare (mais aussi réalisée par le Turc Burak Uygur cette année), celle d’être aussi sacrée en équipe, avec Noémie Kornfeld, Ramona Brüderlin et Nina Radjenovic. Une grande première dans l’histoire de la Suisse.

« Elle a la capacité de se remettre en question »

« Elena est l’une des plus grandes professionnelles que je connaisse actuellement dans le Karaté », témoigne Franco Pisino, l’entraîneur national depuis 2001. « C’est une fille qui ne laisse rien passer à côté. Elle vit Karaté toute l’année. Elle est très sérieuse dans la planification de sa préparation et dans ses entraînements. C’est très facile de travailler avec elle. Elle a la capacité de se remettre en question. Elle est même demandeuse. Elle me dit qu’il faut que l’on lui sorte les critiques justement pour que l’on puisse bosser dessus ».

A 24 ans (elle est née le 16 février 1994), elle continue de monter en puissance et s’affirme comme l’une des principales favorites à la qualification directe pour Tokyo (les 3 ou 4 premières du ranking). Mais Tokyo passe par Madrid et ses Championnats du monde du 7 au 11 novembre. 3e en 2012 (-61 kg), à seulement 18 ans, elle apparaît aujourd’hui plus forte que jamais…

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Qu’est-ce qui te fait vibrer dans le Karaté ?

C’est intensif et tu peux faire beaucoup de choses. Ce n’est pas seulement courir, courir, courir, courir. Ce n’est pas ça du tout ! Tu dois sentir ton adversaire, tu dois chercher la bonne tactique, le bon timing, etc. J’ai commencé à l’âge de 4 ans. Ma mère était professeur au Karaté do Brugg, qui est encore mon club. J’allais toujours avec elle au Dojo et, un jour, j’ai voulu essayer.

Tu as constitué une équipe autour de toi. Explique-nous ton organisation…

Oui, j’ai mon petit team. D’abord ma maman, qui est toujours là et qui veille à ce que je ne manque de rien. Elle est la présidente du club. Il y a David Baumann, qui est mon coach depuis que j’ai commencé le Karaté à 4 ans, même si, maintenant, c’est Franco (Pisino) qui me coache à l’international. J’ai également un préparateur physique, le même depuis des années, ainsi qu’un préparateur mental. C’est vraiment important ! Je pense que j’ai gagné grâce à mon mental.

« Sentir ton adversaire, chercher la bonne tactique, le bon timing… »

Quel est ton rythme d’entraînement ?

Je m’entraîne deux fois par jour. Le dimanche est toujours libre, s’il n’y a pas de compétition. Le matin, je fais 1h30 à 2h de préparation physique et, dans la soirée, je m’entraîne 1h30 en Kumite.

Depuis que le Karaté est devenu olympique, il y a eu un changement des conditions d’entraînement en équipe nationale. Désormais, nous avons un pool olympique. On se réunit toutes les semaines, les mercredi et jeudi, pour s’entraîner ensemble.

Avec tes partenaires, vous avez remporté le premier titre de l’histoire de la Suisse. Que cela représente-t-il pour toi ?

C’était « ouf » tout le week-end ! Avec mon titre individuel et avec l’équipe ! La Suisse attendait ce titre depuis très longtemps. Les filles avant nous ont toujours fait du bronze (2008, 2010, 2012 et 2013). On savait que l’on était fortes et que l’on pouvait gagner ou, au moins, faire la finale. Une fois en finale, c’était vraiment du plaisir. On a gagné et c’était parfait. C’est bien de faire l’histoire en Suisse (elle sourit).

En individuel, tu avais déjà gagné en 2016. La saveur de ce 2e titre était-elle différente ?

Oui, parce que la première fois, tu te dis que tout le monde peut le faire. Gagner une fois, c’est peut-être avoir un « peu de bonheur », de chance. La deuxième fois, le fait que tu puisses le refaire, tu sais que ce n’est pas de la chance. C’est parce que tu travailles et que cela paye. En plus, cette année, il y a eu beaucoup de souffrance, beaucoup de pleurs avant, avec mon opération au pied. J’ai pu refaire presque normalement du Karaté seulement trois semaines avant les Championnats d’Europe. Mais cela a suffi (elle sourit). Après les souffrances, c’était seulement du plaisir, celui d’avoir réussi quelque chose de bien. J’étais dans mon « flow », dans mon rythme. Je me disais que je n’avais rien à perdre. Je voulais seulement prendre du plaisir. Et cela a fonctionné.

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« Ma tête est à Berlin, pas à Istanbul »

Quel va être ton programme des mois à venir ?

Je vais faire Istanbul car on a déjà pris les billets mais, pour moi, cela commence réellement en septembre à Berlin (14-16 septembre). Ma tête est à Berlin, pas à Istanbul. Ensuite, bien sûr, mon objectif, ce sont les Championnats du monde. Même si j’ai gagné les « Europe », je ne me considère pas du tout comme la favorite. Je m’en fous. Ce sera une autre compétition et beaucoup de filles peuvent gagner. Je dois bien m’entraîner et bien me préparer. On verra bien comment cela se passe.

Quelle est ton adversaire la plus dangereuse ? Toi-même ?

Oui, moi-même (rires). Ma tête est vraiment dure parfois ! C’est toujours un nouveau combat. Je peux gagner une fille 5-0 et, la fois suivante, je peux perdre. Je dois prendre tous les combats comme si c’était le premier. Je dois faire mon combat et ensuite le suivant, etc.

Pratiques-tu le Kata ?

Non (rires). J’ai pratiqué jusqu’à 19 ans. J’ai même fait les championnats de Suisse en Kata mais, maintenant, je n’ai plus de temps. Mon entraîneur a toujours dit que c’est important pour la base technique. Mais cela ne m’amusait pas spécialement. J’aime combattre !

A côté du Karaté, qu’aimes-tu faire ?

J’aime être avec mes amis, aller au cinéma. J’aime faire des barbecues l’été… J’aime beaucoup être avec ma famille et mes amis parce que, dans la saison, je n’ai pas beaucoup de temps libre à passer avec eux. J’aime aussi faire du squash.

Quel conseil donnerais-tu à un enfant qui rêve de devenir champion ?

« Never give up ! ». Tu ne dois jamais abandonner et rêver, rêver, rêver ! Penser que le travail paie toujours et avoir du plaisir.