Nohan Dudon, 23 ans, est devenu champion d’Europe kata pour la deuxième année consécutive dans la catégorie des déficients visuels à Erevan (7-11 mai).

Véritable passionné, le jeune champion continue d’impressionner ses entraîneurs, l’équipe de France et la planète karaté. La tête sur les épaules, il aime partager son karaté et s’en sert pour transmettre des messages.

Par Florian Fournier / Photos : Denis Boulanger/FFK


 

Originaire du sud de la France, Nohan Dudon commence le Karaté à l’âge de 4 ans. Devenu déficient visuel à ses 3 ans à la suite d’une maladie, c’est dans son village de Vins sur Caramy (Var) qu’il commence le karaté pour être avec ses copains. Âgé aujourd’hui de 23 ans, Nohan mène sa vie d’étudiant et de sportif de haut niveau d’une main de maître. Étudiant à l’université d’Aix-Marseille, il va rentrer l’an prochain en Master d’ingénierie et ergonomie de (l’activité ) physique. 

Actuellement en stage à l’institut des sciences du mouvement de Marseille, c’est dans cette même ville qu’il s’entraîne auprès d’Enzo et Rémy Montarello. Aujourd’hui, le sport de haut niveau « dicte sa vie » depuis près de 4 ans. C’est un réel défi pour lui. Compétiteur en para karaté, il s’aligne aussi avec les valides.

Constamment dans la recherche de performance, c’est un sportif complet. Il essaye toujours de comprendre comment s’améliorer sur tous les aspects du kata. Entouré comme un sportif de haut niveau, il ne laisse rien au hasard. Licencié à Sarcelles, il est suivi par Ahmed Zemouri. En équipe de France, c’est Manon Lambert qui l’accompagne.

Le karaté n’étant pas olympique, ni reconnu par la fédération handisport, Nohan ne bénéficie pas du statut de sportif de haut niveau en dépit de sa couronne de double champion d’Europe.

Quelle saveur a ce deuxième titre par rapport au premier ? 

C’était un énorme plaisir, une satisfaction décuplée dans le sens où garder son titre est une performance quasi hors du temps. Sur le plan sportif, j’ai eu plus de difficulté à me mettre dans ma compétition contrairement à l’an dernier. J’explique cela par la pression de conserver le titre et par une préparation un peu plus tronquée en raison d’un calendrier extra sportif un peu plus dense.

Mais, avant la finale j’ai su me mobiliser totalement pour prendre du plaisir et savourer pleinement le moment. Je me suis servi de mon expérience de l’an passé afin d’élever mon niveau et conserver mon titre.

Pour la petite histoire, cette année, quand l’arbitre a levé la main vers moi (que je ne vois pas) pour me désigner vainqueur, le speaker a annoncé mon adversaire, ce qui m’a induit en erreur. C’est seulement quand je prend Manon dans les bras en lui disant que je suis dégoûté, qu’elle me dit, pourquoi ? T’es champion d’Europe, c’est là que j’ai compris que c’était une erreur du speaker.
Les cris du clan français m’ont aussi fait réaliser que j’avais gagné.  

Sur le plan sportif, quel type de kata préfères-tu ? Aimes-tu prendre des risques en fonction de ton handicap ? 

C’est évident que mon handicap me freine sur pas mal d’aspects en kata. Premièrement, sur le embusen. Apprendre le embusen du kata est déjà une première étape pas simple. Ensuite, au niveau des sauts et de l’équilibre, le travail est moins inné mais je redouble d’effort pour maîtriser au mieux ces aspects.

D’ailleurs, je suis persuadé que le karaté m’aide depuis tout petit dans mon développement moteur au niveau de l’équilibre et de ma motricité, deux domaines où la majorité des personnes déficientes visuelles sont en grande difficulté.

Pour en revenir au karaté, j’ai toujours voulu prendre des risques et maîtriser les katas avec des sauts comme Unsu qui nécessite aussi beaucoup de changement de poids de corps ou Gankaku qui demande un travail unipodal important mais que j’affectionne plus que tout.

Cette année, on a fait le choix de ne pas le présenter aux « Europe » mais je compte bien l’intégrer de nouveau et performer au très haut niveau.

De manière générale, quel que soit le kata, mon défi est de performer comme quelqu’un de valide. Et le faire sur des katas avec une grande prise de risque sert aussi à changer les mentalités et l’approche qu’ont les initiés et les non-initiés sur le para-karaté.

Nohan Dudon Unsu 2

 

Un Gankaku parfait t’offrira-t-il le titre de champion du monde ? 

Au fond de moi, l’objectif est effectivement de le réaliser du mieux possible en finale des championnats du monde. Mais une compétition se joue sur plein de petits détails et avant d’en arriver là, je devrai être solide sur l’ensemble de ma compétition.

Après, il faut savoir aussi que sur les compétitions, nous ne somme pas tous logé à la même enseigne niveau handicap dans la catégorie, ce qui peut forcément jouer sur les notes et les performances. Et la difficultés de classification du handicap visuel, amène une frustration chez certains athlètes, qui explique le turn over dans la catégorie.

Donc, pour être champion du monde, il faudra composer avec tous ces éléments. Mes émotions, mes sensations, la tendance du circuit à ce moment-là, mes adversaires… Mais être champion du monde avec Gankaku serait fabuleux.

L’équipe de France montre une belle alchimie entre les valides et les paras. Est-ce que cela vous aide ?

Nous sommes fiers et heureux d’avoir créé cela. À la différence de nombreux sports où le distinguo se fait, pour nous, c’est important d’être uni et identifié comme une seule et même équipe. C’est un travail de longue haleine. Aux prémices du para karaté, les para n’étaient pas trop accompagnés puis, de fil en aiguille, les mentalités ont évolué et aujourd’hui nous sommes plus qu’un.

Cette union nous aide, qu’on soit valide ou non. Aujourd’hui, tout le monde dans le groupe France a son rôle à jouer et c’est génial. Cette unité doit continuer tant sur le plan sportif que sur le plan humain et si elle peut permettre de faire évoluer les mentalités dans la société, ce serait parfait.

En étant double champion d’Europe, ressens-tu un rôle de modèle s’installer ?

Non, pour le moment ce n’est pas quelque chose que je ressens et qu’on soit valide ou handicapé, nous avons tous nos problèmes, nos difficultés. Je ne m’identifie pas comme un potentiel modèle. Mais si mon parcours peut servir de référence, tant mieux. J’aspire à ce qu’il puisse faire changer les mentalités et développer l’accompagnement des sportifs para qui est encore trop sous-estimé.

Je souhaite avant tout qu’on retienne mes performances sportives et qu’on puisse se dire en me regardant qu’avec du travail et malgré un handicap il est possible de réussir des beaux katas.

Pour en arriver là, j’ai eu la chance de tomber sur des belles personnes qui ont su m’accompagner et me donner l’envie de me dépasser. Il faut aussi que mes performances puissent montrer aux entraîneurs de club que tout le monde peut réussir et qu’il faut laisser sa chance à tous.