Ils sont professeurs de clubs, coachs d’équipes nationales, professionnels ou bénévoles. Ils sont le poumon du karaté, le cœur battant de la pratique. Nous leur donnons la parole dans une série d’interviews. Comment voient-ils et vivent-ils la décision de ne pas autoriser le Karaté aux JO 2024 ? Quelles conséquences ? Comment s’organiser ?...
3e épisode, Adrien Gautier, professeur de l’AS Evry (150 licenciés), où il coache Anne-Laure Florentin, Alexandra Recchia, Sophia Bouderbane…
Par Florian Fournier / Photo : DR
Quelle est ta réaction ?
« J’ai été choqué quand la liste a été rendue publique. Nous nous battons depuis des années pour être olympique. Nous avons fait évoluer notre sport sans cesse afin de le rendre plus spectaculaire : changement du comptage des points, favoriser les techniques spectaculaires, mise en place de nouvelles protections pour favoriser les échanges techniques, simplification des règles afin de le rendre plus lisible pour les non-initiés et, surtout, afin de le rendre plus plaisant au CIO. Tout ça en vain…
Aujourd’hui, je suis déçu pour nos athlètes français qui payent le prix d’arrangements ou négociations qui nous dépassent. Le karaté français a beaucoup travaillé pour exister et prendre la place qu’il mérite aux JO. Nous avons pu voir, au cours des dernières années, des actions engagées par tous les acteurs du karaté français.
Jusqu’à janvier dernier, le COJO témoignait toute sa confiance à la FFKaraté et nous pouvions toujours voir des clubs réaliser des événements pour promouvoir Paris 2024. J’ai toujours l’image en tête d’un championnat d’Europe des Jeunes où les athlètes français faisaient le signe Paris 2024 avec leurs mains sur le podium. Avec le recul, j’aurais préféré qu’ils tiennent une affiche : « Tony Estanguet, souviens-toi d’où tu viens ? Personne ne serait venu te voir au bord de ta rivière avec ton canoë sans les JO ».
Je n’émets pas d’avis sur le fait de savoir si le breakdance a sa place ou non. Mais il ne s’est pas battu autant que nous. Chaque licencié du karaté français était engagé dans cette lutte et ajoutait sa pierre à l’édifice et ce, depuis des années ! Comme tous les karatékas, je suis frustré d’être impuissant.
Comment abordes-tu l’avenir avec tes athlètes ? Cela remet-il leur carrière en question ?
Des athlètes comme Anne-Laure (Florentin) ou Alexandra (Recchia) n’ont pas d’ambitions sportives sur 2024 en tant qu’athlètes. Mais leur vie post-compétition va être bouleversée si elles décident de s’investir dans le karaté. En revanche, des jeunes talents comme Thanh-Liem (Lê) et Sophia (Bouderbane) misaient clairement sur 2024. C’était l’objectif majeur de leur carrière. Donc forcément, nous devons redéfinir leurs objectifs. Cela impactera nécessairement leur préparation et leur planification de compétition.
Quel discours tiens-tu aux plus jeunes ?
Je n’ai pas de raisons objectives à leur donner. Les hautes instances du sport français prennent leurs décisions et notre avis ne comptent pas. Je ne peux que les encourager à se battre pour que la justice sportive soit rétablie. Au retour du K1 de Dubaï, je montrais les vidéos de la compétition aux jeunes du club. Ils étaient éblouis. Quand tu vois Logan (Da Costa) mettre 8-0 à Sakiyama, Steven et son balayage fou en finale, Anne-Laure et ses gyaku tsuki de feu contre l’Italienne, Farouk (Abdesselem) qui claque un mawashi geri pleine tête au champion du monde, tu es forcément en admiration. Ils ne comprennent pas pourquoi les décideurs ne ressentent pas les mêmes émotions qu’eux.
Continuons à nous battre ! J’ai déjà des retours venant de l’ensemble du monde sportif sur la force de notre protestation. Nous sommes la communauté qui réagit le plus activement à l’annonce du COJO. La plus grande victoire de l'existence ne consiste pas à ne jamais tomber, mais à se relever après chaque chute (Nelson Mandela) ».