Ils sont coachs d’équipes nationales, professeurs de clubs, professionnels ou bénévoles. Ils sont le poumon du karaté, le cœur battant de la pratique. A partir d’aujourd’hui, nous leur donnons la parole dans une série d’interviews. Comment voient-ils et vivent-ils la décision de ne pas autoriser le Karaté aux JO 2024 ? Quelles conséquences ? Comment s’organiser ?...
1er épisode, Fabrice Bouillez, professeur du KC Condé (100 licenciés), entraîneur de plusieurs champions, dont le Belge Quentin Mahauden, médaillé d’or aux JOJ, et le Français Salim Bendiab.
Par Ludovic Mauchien / Photo : DR
La surprise
« Je suis surpris ! Je me disais que le Karaté français brillait au niveau planétaire, que l’Etat, le Ministère des sports et le Comité d’organisation des JO avaient impacté cela et qu’ils auraient mis en avant le Karaté pour 2024. Cela n’a pas été le cas. C’est une grosse peine.
Je ne sais pas comment l’expliquer. Peut-être que nous, Karatékas français, on a cru que l’on était bien vu par les instances dirigeantes françaises, que l’on a été rassurés… Du coup, on s’est reposé sur nos lauriers. Et notre dossier est passé à la trappe, au bénéfice d’autres sports qui ont peut-être œuvré plus que nous, ou peut-être que des partenaires financiers ont fait la différence ? Je ne sais pas du tout. C’est compliqué de se faire un avis. Mais je suis très déçu de ne pas être olympique à Paris 2024 ».
Le coup de gueule
« Ce qui m’énerve surtout, c’est que l’on n’a même pas eu notre chance. Ils auraient pu décider après les Jeux olympiques de Tokyo. Mes collègues du service des sports de la Mairie de Condé, qui connaissent bien le mouvement sportif français, ne comprennent pas. Ils ne comprennent pas pourquoi certains sports et pas le karaté, parce que l’on 180 000 adhérents…
Nous, Karatékas, on est sur des critères qui sont purs, l’universalité… Alors que ce ne sont pas les valeurs essentielles. On est trop purs en fait. Il y a 10 lignes à remplir, on les remplit, on se dit que c’est bon, notre dossier est nickel. Mais cela va au-delà de ça. Regardez le Taekwondo. Le président mondial, un Coréen, était vice-président du CIO et le Taekwondo est devenu olympique à Séoul. Des choses sont vraiment surprenantes.
Il faut donc un sport médiatique, où il y a de l’argent, sans pour autant qu’il soit développé. Regardez le rugby à 7, pareil pour le Breakdance. La France demande qu’il y soit alors qu’il n’y a même pas 6 000 licenciés. On se pose des questions ! Ce qui est édicté dans les critères olympiques n’est pas toujours respecté. On est assez loin des valeurs du sport et de l’olympisme et cela m’attriste fortement. Cela me fout les boules ! Cela m’attriste pour les athlètes qui commençaient à rêver. On leur brise leur rêve. Je me faisais une joie d’aller à Paris voir du karaté. Eh, bien, je resterai chez moi ! ».
Le présent
« Les conséquences sont en termes de reconnaissance, et surtout financières. Cela commençait à bouger pour 2020. Cinq ans avant 2024, on nous coupe l’herbe sous le pied ! On commençait à être reconnu par les partenaires étatiques. Du jour au lendemain, tout est brisé. Ce n’est pas évident…
Pour placer un athlète dans un ranking olympique, il faut se déplacer aux compétitions partout sur la planète. Le club finance le déplacement. Dubaï, Berlin, Tokyo, etc. Il faut du budget ! Si l’on n’est pas suivi par des communes, des agglos, des Conseils départementaux et des Régions, c’est impossible de le faire. Et, comme on n’est pas olympique, tout le monde va se désengager. Désormais, comment démarcher les différents partenaires, sachant qu’on n’y sera pas en 2024 ? Ils vont se dire que c’est un coup d’épée dans l’eau alors pourquoi nous aider. C’est franchement compliqué ».
L’avenir
« Nous, on voit l’olympisme comme un coup de pouce. Pour le CIO, les sports sont déjà reconnus sur le plan médiatique. Je pense qu’on doit développer notre pratique sportive pour la rendre encore plus attractive, pour attirer les médias et des sponsors.
Dans les statuts de la WKF, le président doit œuvrer pour que le Karaté devienne olympique. C’est écrit noir sur blanc. Ce sera toujours un objectif, même si on se fait peu d’illusions. Mais le Karaté doit continuer à évoluer sur le plan sportif, au-delà de l’art martial ».