Pour finir cet hommage à Michaël Milon, place à l’histoire, la grande et fabuleuse histoire du sport, ses Championnats du monde 1998 et 2000. Deux grands moments de sport, empreints de dramaturgie, qui ont forgé sa légende.

En 1998, Michaël Milon est double champion du monde en titre, se blesse au genou 6 mois avant Rio. N’importe qui aurait été forfait. Pas lui…

En 2000, il devait être retraité. Mais il y a eu Rio. Il était parti dans le cinéma. Il est revenu pour l’apothéose. Récit de moments d’anthologie vécus de l’intérieur…

Par Ludovic Mauchien / Photos : DR


RIO 1998, L’AMÈRE ET DOULOUREUSE DÉFAITE

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Mes 1ers championnats du monde de Karaté. Je prenais l’histoire en marche. Michaël Milon avait déjà commencé à l’écrire. Champion du monde en 1994 en Malaisie et en 1996 à Sun City, il était déjà le 1er. Il pouvait être le 2e à remporter 3 titres d’affilée, après Tsuguo Sakumoto (1984, 86 et 88), le Senseï de Ryo Kiyuna (1).

Au Brésil, le Français pouvait ainsi réaliser un immense exploit sportif. Il sera surtout humain. Rien que de se présenter sur les tatamis du Maracanazinho était en fait un exploit.

Six mois auparavant, Michaël Milon s’était rompu les ligaments croisés du genou et a dû subir une greffe du tendon rotulien. C’est alors que je le rencontrais pour la 1ère fois. Place des Vosges, à Paris. Interview et séance photos pour Le Parisien, où je collaborais à l’époque.

Il est arrivé sur ses 2 béquilles, arborant ce large sourire dont il avait le secret. Le ton était un tantinet mélancolique, mais pas défaitiste. Jamais !

Nous nous sommes revus régulièrement jusqu’aux Mondiaux, à l’automne. Allait-il pouvoir les faire ? Dans quel état physique serait-il ?... Les interrogations ne manquaient pas. Les doutes étaient omniprésents.

« Je l’ai vu souffrir… C’est déjà bien qu’il ait pu faire la compète »

Rio de Janeiro. Michaël Milon est là, prêt à combattre. Car, pour lui, le Kata était un combat. A l’approche de la compétition, il n’affiche pas particulièrement de nervosité. Pourtant… Jusqu’à la veille du jour J, il n’est toujours pas certain de pouvoir participer. Les heures et les heures passées avec les kinés ne suffisent pas, les poches de glace non plus.

Il passe beaucoup de temps avec nous, les journalistes, dans notre chambre, à bavarder de tout et de rien ; sur le marché de Copacabana, à faire pareil.

L’heure de la compétition sonne. En face, Ryoke Abe, 2e lors des 3 précédents Championnats du monde, « son » adversaire. Évidemment, le titre se joue entre eux deux. Michaël ne réalise peut-être pas le meilleur Kata de sa carrière, mais il ne fait pas de faute.

Mais les juges penchent pour le Japonais. Michaël relève alors son pantalon de Kimono à hauteur du genou opéré, reste un petit moment sur le tapis en les regardant juges. Il est dépité. « Cette décision est très discutable pour moi », soutient Serge Chouraqui, son entraîneur national à l’époque. « Mais Michaël était diminué ».

Alain Auclert, son entraîneur au KC Châteauroux et en équipe nationale, qui le connaissait depuis ses 8-9 ans, se souvient : « Honnêtement, pour Rio, je ne croyais pas qu’il pourrait le faire. Je l’ai vu souffrir… En juillet-août (2 mois avant l’échéance), son genou faisait le double. Des poches de glace, il en a bouffées… Même 2-3 jours avant la compétition, ce n’était pas gagné. Je le voyais avec les kinés et les soigneurs. C’est déjà bien qu’il ait pu faire la compète. Je ne dirai rien sur le résultat. Michaël était diminué. Et Abe, c’était un bon ! La participation de Michaël est la preuve qu’il avait du caractère, du mental ».

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Le Japonais Abe deviendra champion du monde à Rio.

 

1998-2000 : DU CINÉMA, UNE HAPPY END

Cette défaite à Rio va le marquer. Il voulait arrêter le Karaté, ce qu’il fera pendant une année, pour se consacrer au cinéma. Il tournera d’ailleurs « Koan ». Mais ce revers carioca, qu’il estime injuste, va le pousser à insister. L’histoire va continuer de s’écrire. Mais, dans l’esprit de Michaël, elle ne pouvait qu’être en lettres d’or. Pourtant, sur tous les plans, humain, professionnel, sportif, un retour semblait impossible.

« Je vais raconter comment cela s’est passé », raconte Michel, son père. « Il me téléphone en juillet (les Mondiaux se tenaient en octobre). Il était en vacances en Espagne. Il sent dans ma voix que quelque chose ne va pas. J’étais au sport. Je lui dis : « je m’entraîne, je pense aux championnats du monde qui approchent, je suis un peu nostalgique ». Il me raccroche au nez en m’engueulant, après m’avoir dit que la compète, c’était fini pour lui.

Il me rappelle 5 minutes après et me dit : « tu es sérieux ? Tu crois que je peux le faire ? ». J’avais regardé les vidéos des championnats d’Europe, le niveau n’avait rien à voir. Je lui ai dit : « par contre, il va falloir t’entraîner très sérieusement. Tu as toujours la puissance et la technicité. Mais, par rapport à ton style, il te faut regagner la vitesse d’exécution ». Michaël me demande d’appeler Serge (Chouraqui) pour savoir ce qu’il en pensait ».

On connaît la réponse. C’est reparti ! Michaël va s’astreindre à un entraînement plus qu’intensif tous les jours, environ 6h, Karaté, muscu et condition physique. « Je n’ai jamais douté qu’il réussisse son retour », poursuit Serge Chouraqui. « Je sentais qu’il était sincère quand il me répondait, qu’il était prêt. Quand Michaël était décidé à aller au bout de ses convictions, c’était impossible qu’il passe à côté. Et cela a été l’apothéose ! ».

 

MUNICH 2000, L’APOTHÉOSE

Milon 2000

Revenir à son meilleur niveau après une rupture des ligaments du genou n’est pas chose aisée, voire commune, surtout quand on a forcé sur la machine pour revenir en un temps express. Ca, c’était Rio 1998.

Revenir à son meilleur niveau après une année éloigné des tatamis, dans la foulée d’une rupture des ligaments, c’est mission impossible, soyons bien clair !

Mais le très haut niveau, c’est repousser ces frontières de l’impossible. Michaël Milon l’a fait. En face, il y avait pourtant un client. Ryoke Abe, 4 finales mondiales consécutives, les 4 précédentes. Battu en 1994 et 1996 par le Français, le Japonais avait pris sa revanche en 1998. Il fallait mettre les points sur les i en 2000...

« Le jour J, Michaël termine 3e au 1er tour et 3e au 2e tour », rappelle Hassan Fekkak, son ami depuis l’adolescence, champion du monde Kata JKA. « Mais, en finale, il dépasse de loin le Japonais Abe et l’Italien Valdesi et reprend son titre mondial. C’était, je suis sûr, le titre qu’il l’a le plus marqué. Ce titre-là, il a été le chercher pour lui. Il était en larmes sur le podium. ».

Ce 3e titre mondial fut certainement l’apothéose de sa carrière. Dans la foulée, il deviendra entraîneur de l’équipe de France, jusqu’à sa disparition le 13 mars 2002.

(1)Ryo Kiyuna est devenu le seul à avoir remporté 4 titres de champion du monde Kata, les 4 derniers (2014 à 2021). Tsuguo Sakumoto (1984, 86, 88), Michaël Milon (1994, 1996, 2000) et Luca Valdesi (2004, 2006, 2008) comptent 3 titres d’affilée !

A LIRE :

Épisode 1 / Michaël Milon l’éternel

Épisode 2 / Unsu par Michaël Milon

Épisode 3 / Le façonnage du champion Milon

Épisode 4 / L’héritage de Michaël Milon

VIDEOS :

Michaël Milon en action aux Championnats du monde 1996, quand il a remporté son 2e titre mondial.

Son Unsu de sa 3e victoire mondiale en 2000 à Munich 

Kankusho par Michaël Milon en 2000