Les Championnats du monde de Madrid viennent de s’achever. L’heure du bilan a sonné. Certains favoris le sont aussi. Beaucoup sont passés à côté. L’une des conséquences est que les histoires sympas n’ont pas manqué. La médaille d’or des fraîches et pétillantes Dorota Banaszczyk et Eleni Chatziliadou, le titre et la superbe finale de Steven Da Costa, le Ushiro Ura Mawashi de Horne pour son 1er sacre, le bronze du maître, Rafaël Aghayev, l’excellence du Bunkaï japonais et des combattantes de l’équipe de France, sacrées championnes du monde… Heurs et malheurs, stats et anecdotes des 1ers Mondiaux « olympiques » (6-11 novembre). A grignoter !
Par Florian Fournier et Ludovic Mauchien / Photos : KPhotos
Le coup de coeur : Horne champion du monde !
En gagnant à Madrid, il a réalisé son rêve de môme, il s’est soulagé d’un poids et il ne terminera pas sa carrière prisonnier d’un rêve brisé. Il s’est libéré et positionné de la plus belle des manières pour son nouvel objectif depuis 2016 : remporter l’or olympique à Tokyo.
A 29 ans, l’Allemand Jonathan Horne est (enfin) devenu champion du monde des poids lourds ! Les champions de toute nation sont venus pour les félicitations, voyant en ce titre une logique enfin récompensée. Très apprécié par ses pairs, le quintuple champion d’Europe attendait cela depuis 2008 et son bronze à Tokyo. A Madrid, rien ne semblait pouvoir lui arriver. Dans une finale remportée 5-2 contre Sajad Ganjzadeh, l’Iranien champion du monde en titre, Jonathan Horne a placé un fabuleux Ushiro Ura Mawashi Geri Jodan. Le capitaine de la délégation allemande est désormais plus que jamais favori à l’or olympique.
Le régal : la finale Da Costa-Figueira
Ils ne s’étaient jamais croisés. Steven Da Costa et Vinicius Figueira (-67 kg) se souviendront longtemps de cette première rencontre. De loin, la plus belle finale. Deux grands champions se sont affrontés. Il fallait un vainqueur. Leur combat fut plein d’intensité et d’ingéniosité, de suspense et de renversement. Du très haut niveau ! Coté brésilien, Mawashi geri jodan pour le 3-0, Mawashi chudan pour le 5-3, côté français, balayage pour le 3-3, Ura Mawashi geri jodan, son spécial, pour le 6-5. Steven Da Costa, à 21 ans, est champion du monde !
Le geste : Le Ushiro Ura Mawashi geri de Horne
Il a osé ! En finale des Championnats du monde face au tenant du titre, l’Iranien Sajad Ganjzadeh. Lui qui n’avait pas ramené de médailles mondiales depuis son bronze en 2008, à chaque fois rattrapé par ses démons. Enfin, à Madrid, Jonathan Horne est en finale. Et il fait quoi, le bougre ? Un Ushiro Ura Mawashi geri face à l’un des karatékas les plus rusés ! Ippon ! 5-2 ! Champion du monde ! Il fallait oser ! Bravo Jonathan Horne ! Un geste de champion !
Jonathan Horne won his final thanks to this Ushiro Ura Mawashi geri.
Le meilleur combattant : Steven Da Costa
Seulement 2 points concédés avant la finale, en 8e contre l’Espagnol Cuerva. Une superbe victoire en finale qui restera dans les annales. Une prestation, partagée avec le Brésilien Vinicius Figueira, qui a imprimé l’histoire du Karaté. Un titre de champion du monde à seulement 21 ans. Le Français Steven Da Costa a été élu meilleur combattant de la compétition par les fans. Une distinction totalement méritée. Ce sacre mondial est sa 7e médaille d’or à l’international, sa 2e chez les Seniors après le titre européen en 2016.
En ¼ de finale, il a dominé son compatriote William Rolle, engagé avec le Cameroun (1-0) puis maté l’Iranien Derafshipour en ½ finale (2-0). Du grand art !
L’épopée fantastique : Dorota Banaszczyk
Elle était 50e au ranking mondial avant l’épreuve madrilène. Elle a 21 ans. Elle est devenue championne du monde ! Personne ne l’a vue venir, elle-même n’en croyait pas ses yeux. Pour sa 1ère compétition chez les Seniors, la Polonaise Dorota Banaszczyk (-55 kg) a tout emporté sur son passage avec un naturel et un allant dépassant tout entendement. Fraîche et pétillante, elle a tout simplement ébloui son monde avec son épopée fantastique. Jusqu’alors, son seul fait de gloire était une 3e place aux Championnats d’Europe U21 en 2017.
A Madrid, elle bat Sara Cardin, la championne du monde 2014, en ¼ de finale (1-0), puis dispose de la Japonaise Yamada en ½ finale (0-0) avant de dominer l’Allemande Jana Bitsch en finale (2-0). A chaque fois, contre toute attente. Bravo Mademoiselle !
La belle histoire : Eleni Chatziliadou
Pas de chance ! Dans sa catégorie, il y a Ayumi Uekusa, 25 victoires en 27 compétitions avant ces Mondiaux. L’intouchable superstar l’a d’ailleurs battue il y a deux ans en finale des Mondiaux à Linz. Mais, cette fois-ci la sympathique et empathique Grecque, Eleni Chatziliadou, a pris sa revanche. A 25 ans, elle est devenue championne du monde (+68 kg) en dominant sans coup férir Ayumi Uekusa (3-0). Chapeau !
Rafaël Aghayev : 1 bronze, 7 médailles mondiales
Bien sûr qu’il était venu à Madrid pour autre chose. Rafaël Aghayev ne jure que par l’or, ne se nourrit que dans la victoire, n’avance que pour être le meilleur. Forcément, une 3e place ne peut le contenter. Pourtant, il était moins bougon qu’à l’accoutumée dans la défaite. Il a tout fait pour aller chercher le titre, il n’était pas question qu’il manque le bronze, sa 7e médaille mondiale avec ses 5 titres et l’argent en 2012. D’ailleurs, c’est encore l’Italien Busa qui l’a privé d’or, cette fois en ½ finale (2-1). Mais, pour le bronze, Otabolaev n’y a vu que du feu, et surtout pas les Kizami de notre ami (2-1). Somme toute, l’objectif est rempli pour le Lutin du Caucase. Avec ses 5 podiums en Premier League (3 victoires), son titre de champion d’Europe et cette 3e place, l’Azerbaïdjanais s’est concocté un matelas confortable pour le voyage vers Tokyo. Il peut laisser un peu venir la tempête pour mieux mettre toutes voiles dehors au moment opportun.
La perf’ : 5e finale consécutive des Françaises
L’équipe peut changer, le résultat est toujours top niveau pour l’équipe Kumite féminine française. Hormis Leïla Heurtault, qui disputait sa 3e finale mondiale, aucune n’avait encore participé à un Championnat du monde. Et alors ?... Emmenées par une excellente Heurtault, les Françaises -Lea Avazeri, Andrea Brito, Laura Sivert- ont été magistrales. Les Championnes d’Europe suisses au 1er tour (2-0), les Egyptiennes championnes du monde 2014 en ½ finale (2-1) et, pour parachever le chef d’œuvre, les Japonaises en finale (2-0), personne ne leur a résisté. Moyenne d’âge de l’équipe ? 21 ans !
Lea Avazeri en pleine action.
La grâce martiale : le Kata nippon
Ils parviennent à mêler modernité et martialité en toute partialité. Ils apportent la touche sportive moderne tout en conservant la pointe technique traditionnelle. Quand ils exécutent un Bunkaï, on reconnaît le Kata, son histoire et son évolution (ce qui n’est pas toujours le cas).
Il y a d’abord le roi Ryo Kiyuna, titré pour la 3e fois d’affilée. Simplement intouchable, seulement touché par la grâce ! Son alter ego féminine Kiyou Shimizu a certes perdu sa finale face à l’Espagnole Sandra Sanchez Jaime, mais elle n’a pas démérité.
Le meilleur était encore à venir. L’excellence a ébloui l’assistance avec les équipes kata japonaises. Les hommes (Arata, Kimura, Kiyuna) comme les femmes (Ishibashi, Taira, Mugiyama) ont logiquement gagné. Ce sera dur de les déloger de leur nuage.
1998-2018 : Antonio Diaz encore en ½ finale
Il a 38 ans, a disputé son 1er Championnat du monde en 1998, a affronté Mickaël Milon et Luka Valdesi à maintes reprises, a été sacré champion du monde Kata en 2010 et 2012. Avant Madrid, le Vénézuélien Antonio Dias cumulait 9 médailles en 9 championnats du monde d’affilée. A Madrid, il s’est à nouveau hissé en ½ finale (!). Battu par l’Espagnol Quintero (5-0), il s’est de nouveau incliné pour le gain du bronze face au Turc Sofuoglu (5-0). 20 ans après Rio, Antonio Diaz n’a pas dit son dernier mot.
La surprise du chef : William Rolle
Le Français William Rolle est un petit cachotier. Le champion du monde 2014 n’a disputé aucune compétition internationale depuis son titre, si ce n’est l’Open adidas il y a deux semaines (victoire). Dans la foulée, le Cameroun l’a contacté. Cela s’appelle inscrit de dernière minute. A Madrid, il fut longtemps le premier à marquer, comme au bon vieux temps, Ura Mawashi geri à profusion (6-3, 4-0…). A 33 ans, il n’a pas perdu de sa superbe, juste face au futur lauréat, le… Français Steven Da Costa (1-0). En repêchages, William Rolle s’incline de manière discutable contre l’Espagnol Cuerva (5-3). Sans coach, il ne disposait de l’aide de la vidéo. Cela aurait peut-être changé le cours de son histoire. Une 4e médaille mondiale, après le bronze en 2008 et 2012, et l’or en 2014, n’aurait pas dépareillé son habit de grand champion.
Lamya Matoub, la 3e place en or !
Elle a fait partie du collectif France, il y a de nombreuses années. A l’époque barrée par la concurrence, elle a délaissé le haut niveau, se consacrant à l’enseignement du karaté aux enfants de l’AS Sarcelles et, désormais, aux enfants de la République. Prof des écoles, donc membre du mammouth, elle doit sa participation à la bienveillance de son inspectrice et à l’appel de l’Algérie. Vainqueur de l’Open de Paris en 2017, championne d’Afrique 2018, Lamya Matoub (-68 kg) s’est offert sa 1ère médaille mondiale à 26 ans. Défaite en ¼ de finale par la Russe Isaeva (0-0), la Franco-algérienne a décroché une belle médaille de bronze en dominant Aliakseyeva (Blr).
La contrariété japonaise : Sandra Sanchez
Il s’agit de sa… 33e médaille d’affilée ! 33 K1 et championnats enchaînés ! Mais celle-là, elle ne l’avait encore pas touchée. Elle vaut de l’or. Devant son public, Sandra Sanchez Jaime a dominé la Japonaise Kiyou Shimizu en finale Kata (3-2). N°1 mondiale, Grand Winner du circuit K1, quadruple championne d’Europe, l’Espagnole s’est offert le seul titre qui lui manquait. Championne du monde ! Mais, dans deux ans, c’est Shimizu qui sera chez elle…
La France : 3e mais… 2 médailles seulement
Ces Championnats du monde madrilènes ne resteront pas vraiment dans les mémoires tricolores. Les deux très belles médailles d’or obtenues par Steven Da Costa et les filles en Kumite, Andrea Brito, Lea Avazeri, Laura Sivert, emmenées par une brillante Leïla Heurtault, permettent de ne pas sombrer dans la dépression et pointer à la 3e place des nations. Mais il s’agit quand même du plus faible total depuis… 1977 et la disparition de la catégorie de poids unique.
Si la qualité prime, la quantité dans une course olympique est la bienvenue. Et là, le bat blesse. Peu de Français ont marqué des points dans ce tournoi au coefficient 12 (6 pour les Championnats d’Europe et les Premier League). Outre Steven Da Costa, seuls Anne-Laure Florentin (1/2 finaliste, 5e), Alexandra Feracci (5e) et Enzo Montarello (7e), ont franchi suffisamment de tours pour avancer sérieusement vers Tokyo. La plupart d’entre eux se sont faits éliminés au 1er et 2e tour. L’analyse est de mise. Remise en question ! Réflexion ! Action ! Hajime ! Tokyo est peut-être à ce prix.
The love story : la demande en mariage de Luigi Busa
On l’a très peu ces derniers mois. C’est certainement pour cela qu’il fut l’un des rares favoris à ne pas disparaître prématurément. Ce fut même tout le contraire. Luigi Busa a disputé sa 4e finale mondiale à Madrid (2e en 2010 et 2016, 1er en 2012) ! Mais l’Italien a dû s’incliner face à l’Iranien Asgari (1-0).
Luigi Busa s’est aussi, et même surtout, distingué par son romantisme. A l’hôtel, devant toute l’équipe italienne, il a demandé en mariage sa dulcinée, Laura Pasqua, titulaire en -61 kg. Que le bonheur les accompagne !
Les déceptions, une surprise ?
Elles sont nombreuses ! Serait-ce le signe du changement dû à l’ère olympique ? Les moyens financiers affluent de plus en plus, la professionnalisation se fait jour, c’est certain. Exemple : Serge Bubka finance à hauteur de 3 M€ l’équipe d’Ukraine jusqu’aux JO. La multiplication des compétitions (quasiment une par mois) aurait-elle empêchée une préparation plus approfondie ? Des stratégies mises en place pour l’échéance olympique ne connaissent-elles pas leurs 1ères limites ? Toujours est-il que beaucoup de favoris ont failli dans tout pays.
Rafaël Aghayev a remporté le bronze, sa 7e médaille en championnat du monde.
Les stats de la compèt : Japon, Iran et France…
12 catégories individuelles, 11 nouveaux champions du monde. Seul le Japonais Ryu Kiyuna en Kata est parvenu à conserver son titre.
Ils ont gagné 2 médailles : Ryo Kiyuna (2 or), Bahman Asgari (2 or), Sajad Ganjzadeh (1 or, 1 argent), Zabiollah Poorshab (1 or, 1 bronze), Ayumi Uekusa (2 argent), Ken Nishimura, Yamanoglu et Ugur Aktas (1 argent, 1 bronze), Giana Lotfy et Abouel Yazed (2 bronze)
6e titre d’affilée pour le Kata féminin japonais (nouvelle équipe), invaincue depuis 2008.
3e titre d’affilée pour le Japonais Ryu Kiyuna, l’Iran en Kumite (Asgari et Ganjzadeh à chaque fois, Poorshab en 2016 et 2018).
2e titre d’affilée pour le Kata masculin japonais (même équipe : Arata, Uemura, Kiyuna), l’équipe féminine combat française (seule Heurtault était là en 2016).
5e finale d’affilée pour l’équipe de France féminine en combat. Des 4, seules Leïla Heurtault avait déjà disputé les Mondiaux.
3e finale d’affilée pour la Française Leïla Heurtault, le Japonais Ryu Kiyuna et les Iraniens en kumite. 2e d’affilée pour Miyahara (2e en 2016, 1ère en 2018), Chatziliadou (2e en 2016, 1ère en 2018), Uekusa (1ère en 2016, 2e en 2018), Quintero (2e en 2016 et 2018), Ganjzadeh (1er en 2016, 2e en 2018), l’Espagne en Kata hommes (2e en 2016 et 2018).
1er titre pour Sanchez Jaime (Kata), Miyahara (-50 kg), Banaszczyk (-55 kg), Prekovic (-61 kg), Zaretska (-68 kg), Chatziliadou (+68 kg), Crescenzo (-60 kg), S. Da Costa (-67 kg), Asgari (-75 kg), Kvesic (-84 kg), Horne (+84 kg).
Les nations : Le Japon, c’est si bon ?
Il y a deux façons d’analyser un classement : par la qualité ou la quantité des médailles. Privilégie-t-on la bouteille à moitié vide ou la bouteille à moitié pleine ? Tout dépend du regard que l’on porte sur ce que l’on appelle le haut niveau ?... Qu’est-ce que la haute performance ? Gagner ! Qu’est-ce qui fait le classement aux Jeux olympiques ? Les médailles d’or. En sport de haut niveau, l’important est bien de gagner, de privilégier la qualité à la quantité. Demandez aux Turcs : 6 médailles, pas 1 en or et une très inhabituelle 12e place pour eux.
Qu’est-ce que la très haute performance ? Ne pas donner le choix à l’interprétation, cumuler la quantité et la qualité. Seul le Japon (10 médailles dont 4 en or) et l’Iran (7 médailles dont 2 en or) s’en sont montrés capables. Au jeu de la qualité, la France s’est, elle, montrée très performante. 2 médailles, 2 ors et une 3e place au classement des nations derrière le Japon et l’Iran, devant l’Espagne (6 médailles, 1 en or), l’Italie (7 médailles, 1 en or) et l’Allemagne (2 médailles, 1 or, 1 argent).
Si l’on enlève les épreuves par équipe et que l’on ne garde que les catégories individuelles, soit les athlètes potentiellement concernés par les JO, l’Iran prend le lead avec 5 médailles (1 or). Le Japon, amputé de 4 médailles (3 or, 1 argent), rétrograde à la 2e place. L’Allemagne, qui conserve ses 2 médailles, prend la 3e place devant l’Italie, qui perd 3 bronze (4 médailles, 1 or). Viennent ensuite de nombreux pays, dont la France avec 1 médaille d’or.
Si on enlève le Kata, le rapport de force est aussi inversé. Et le Kumite, c’est 8 catégories aux Jeux. L’Iran gagne 5 médailles (1 or), le Japon seulement 4 : l’or de Miyahara, l’argent du sémillant Naoto Sago et d’Ayumi Uekusa, et le bronze de Ken Nishimura. Loin des ambitions de l’armada en route pour montrer qui est le patron à la maison.
Classement complet : http://www.karate-k.com/fr/sport/actus/318-madrid-2018-le-japon-et-l-iran-devant.html
Ryo Kiyuna remporte son 3e titre mondial d'affilée.