Antonio Diaz, Ivan Leal, Jordan Thomas, Gilles Cherdieu, Alexandra Recchia, des générations différentes mais deux points communs, le karaté et champion du monde. Ils racontent leur titre le plus marquant. Des moments d’émotions et des souvenirs impérissables.
Par Ludovic Mauchien
Photo : D.R
Antonio Diaz : « Senseï Inoue pleurait et m'a serré dans ses bras »
Depuis 1998, ses 1ers Mondiaux, il a été 9 fois médaillé d’affilée. Il a été champion du monde Kata en 2010 et 2012.
« J’ai gagné ma première médaille d'or à Belgrade, en 2010. Pour moi, devenir champion du monde était très spécial, pas seulement à cause du titre, mais à cause de la manière dont les choses se sont passées. A partir de 2002, je suis à chaque fois monté sur le podium. J’ai remporté 3 médailles de bronze consécutives et finalement, en 2008, à Tokyo, j'ai atteint la finale mais j'ai perdu 3-2 contre Valdesi. J'étais sur le point d'abandonner puis j’ai décidé d'essayer une toute dernière fois.
Donc, en Serbie, j'étais déterminé à être sur la plus haute marche du podium. Je me souviens que je devais faire 5 matches avant la finale. Au 2e tour, j’affronte le Péruvien Tamashiro. J’avais beaucoup de pression parce que nous avons grandi face à face aux Championnats panaméricains. Ensuite, en demi-finale, j’ai affronté l’Égyptien Ibrahim. C’était aussi un match difficile car il avait été champion du monde Junior.
Enfin, en finale, une fois de plus, je retrouvais Valdesi, pour une revanche de 2008. J’ai vraiment bien senti ma performance et j'ai gagné 4-1. Quand j'ai vu les drapeaux, j'ai voulu lever les bras pour célébrer le titre, mais j'ai pris mon visage dans mes mains et j’ai pensé : « Enfin, tu l’as fait ! ».
Je me souviens encore très bien du podium, quand je reçois ma médaille et l'hymne national dans le stade. Ce moment a fait que tous mes sacrifices et mes efforts en valaient la peine !
Après le podium, je suis allé remercier Senseï Inoue. Il pleurait et il m'a serré dans ses bras. Je chéris ce moment, c’est l’un des meilleurs passés avec lui. Il n’est pas courant de voir un Senseï japonais montrer ses émotions de la sorte. J'étais vraiment heureux de l’avoir rendu fier.
Puis, deux ans plus tard, je suis allé à Paris pour défendre mon titre. Ce fut le meilleur Championnat du monde de tous les temps. L'organisation et l'ambiance étaient extraordinaires. Pour moi personnellement, c'était aussi très spécial parce que mes parents et ma sœur étaient présents. Et j'ai réussi à de nouveau être champion du monde, en étant le premier dans l'histoire à remporter tous ses matchs 5-0 (Kiyuna en ½ finale et Minh Dack en finale).
C'était aussi spécial parce que Rika Usami a remporté le titre en kata féminin et que nous nous sommes beaucoup entraînés ensemble pour ce tournoi. Inoue Senseï était fier et heureux à nouveau. Ses deux élèves étaient les champions du monde ».
Jordan Thomas : « ce jour, c’était le mien… »
Champion d’Europe en 2014, l’Anglais Jordan Thomas a été sacré champion du monde en 2016.
« Mes souvenirs des derniers championnats du monde ressemblaient à des montagnes russes. Les émotions étaient parfois hautes, parfois basses, je passais d’un l’état d’extrême fatigue à celui de d’être vraiment, vraiment concentré sur ma performance, et j’étais très, très déterminé. C’est ce qui m’a fait aller jusqu’au bout.
Vous pouvez avoir toutes les aptitudes du monde mais, pour remporter le titre mondial, il faut que ce soit votre jour. Et ce jour, c’était le mien. En fait, vous devez avoir 2 jours car la finale est 2 jours plus tard. Ma préparation s’était bien passée et je n’avais plus qu’à faire le job ».
Ivan Leal : « C’est juste merveilleux et irremplaçable ! »
Double champion du monde en -75 kg (2000, 2002), l’Espagnol Ivan Leal a aussi été deux fois médaillé d’or par équipe.
« Je voudrais raconter un moment inoubliable de chacune des fois où j'ai eu la chance de remporter les Championnats du monde Senior.
-Munich 2000 : la jeunesse, l'innocence, l'illusion et l'impudence m'ont permis de remporter mon 1er titre individuel.
-Madrid 2002 : L’union dans l’équipe et l’amitié nous ont permis de réaliser notre rêve… Remporter la médaille d’or par équipe.
-Madrid 2002 bis : devenir champion du monde dans ma ville, mon pays, devant mes amis et mon peuple... C’est juste merveilleux et irremplaçable ! C’est mon 2e titre individuel.
Tampere 2006 : La meilleure génération de l’histoire du Karaté espagnol remporte une 2e médaille d’or par équipe ! On a gagné 5 médailles en tout (+ bronze en 2000 et 2008, et argent en 2004) ».
Gilles Cherdieu : « le rêve de ma vie »
« Sun City… 1996… Il y a des émotions qui restent gravés à jamais... C’était écrit que je gagne ! C’est marrant à dire mais c’était ça. Cela ne pouvait pas être autrement. Je n’ai fait aucune autre compétition où j’étais à ce niveau, mentalement et physiquement.
Le moment de la victoire n’est pas le plus beau. C’est quand tu te rends compte de tout ce que tu as fait pour arriver à cette victoire. Ces quarts, ces demis, cette finale où tu es dans un état second. Et tu te dis : « j’ai été capable de faire ça ».
C’est ça le sport de haut niveau, cette façon de se dépasser physiquement et mentalement. Cela t’apprend beaucoup sur tes ressources. Tu te dis : « la vache, j’ai quand même fait quelque chose de grand ». En termes d’émotions et de compétition, c’était une ambiance du tonnerre, avec tous mes amis, tous mes proches. C’était ma plus belle compétition de ma carrière.
La veille, Serge Chouraqui avait été au tirage au sort. Je ne voulais pas le voir. Il revient à l’hôtel, qui était ouvert sur la savane. J’étais à la réception et, sans me regarder, il me pointe du doigt et me dit : « si tu n’es pas champion du monde cette fois, tu ne le seras jamais ». J’ai eu un sourire. Tout était dit. J’étais étonnamment à mon super poids de forme sans avoir fait d’effort à 78,5 kg.
Il a fallu se reconcentrer après la fameuse finale par équipe la veille. Tout le monde venait me féliciter. Au début, c’était marrant mais je ne me replongeais pas dans ce qu’il fallait. J’ai réussi à m’isoler. Sur mon tableau, j’avais tous les mecs que je craignais.
Au 1er tour, j’ai pris un Estonien qui est devenu champion du monde face à Yann Baillon. Quand on m’a appelé pour venir sur le tatami, je n’ai pas senti mes jambes ! J’étais tellement pris par l’émotion, pour ne pas dire la peur. J’ai avancé mécaniquement. J’ai réfléchi pour marcher !
Le quart de finale, c’était contre mon copain iranien, Shaterzadeh. Face à lui, ça a été toujours été au mental. Prolongation, En Sho Sen, le 1er qui marque. Je fais une pseudo-attaque et je ne sais pas pourquoi, je stoppe la tête. Je vois son pied me passer devant ! Si j’avais fait 10 cm de plus, je le prenais ! Finalement, je rentre dedans, je marque.
En demi-finale, je prends l’Autrichien Peterman. Je suis mené 2-0 à 1 minute de la fin. Je l’ai eu au mental. Je l’ai harcelé, j’ai fait le pitbull. Je l’ai fait craquer. Il était pourtant en état de grâce. Je reviens de 2-3 à 3-3 et je marque 1 point à 3-4 secondes de la fin. Je le gagne de 2 points.
J’arrive en finale contre mon ami Kokubun, que je vois battre un Espagnol. Ce n’était pas un beau combat, très stratège. Je marque un point sur une sorte de démarrage au corps mais, à partir du milieu du combat, j’ai des crampes aux jambes. 1-0, en finale du championnat du monde !
Quand je gagne. Je sors comme je peux du tatami, Serge (Chouraqui) me dit : « ne montre pas que tu as des crampes » (rires). J’étais perclus de douleurs. Je lui dis : « Le prochain combat, c’est quand ? ». « Arrête Gilles ! Tu as gagné, tu es champion du monde ! ». C’est à ce moment que je me rends compte que j’ai gagné, entre larmes et rire. Tout cette vie passée auparavant… Putain ! Champion du Monde ! Le rêve d’une vie ! Sur le podium je me suis dit : « enfin, j’y suis arrivé ».
Cela m’a fait passer de rang de très bon compétiteur au rang de champion. La reconnaissance a été autre. C’est ce que je recherchais, c’est surtout le but et le rêve de ma vie, ce pourquoi je suis venu sur terre ».
Alexandra Recchia : « On rêve d’une finale parfaite. Moi, je l’ai vécue »
Un réveil difficile
« Je vais choisir Bercy 2012. Le matin de la finale, au réveil, j’ai eu un gros sentiment de panique. J’étais vraiment très stressée. Au petit déj’, j’ai sauté sur Yann (Baillon) et je lui ai dit que cela n’allait pas, que j’avais peur… Je me suis mise à pleurer. Cela l’a beaucoup décontenancé. Il n’était pas habitué à ça de ma part ! Il m’a dit que c’était normal, c’était une finale de Championnat du monde et que j’allais gérer.
Tiphanie (Fanjat) m’a aussi épaulée. Elle avait déjà faite une finale de Championnat du monde. Elle m’a boostée en me disant que ça restait un combat parmi tant d’autres, que je n’avais qu’à rester dans ma bulle comme je l’avais été toute la compétition, que j’étais faite pour ça. Entendre ces mots de leurs bouches m’a vraiment rassurée, sécurisée. Cela allait beaucoup mieux après ».
Du coup, quand je me suis échauffée, j’étais très, très relâchée, très détendue. Cela inquiétait même Yann. Je n’étais pas comme d’habitude, avec le regard fermé. Au contraire, je faisais des blagues.
J’ai abordé cette finale comme un gros kif, devant 15 000 personnes les yeux braqués sur moi. Juste avant d’entrer dans l’arène, il y avait un couloir. On l’appelait le couloir de la mort (elle rit). On entendait un brouhaha mais il n’y avait rien de net.
Yann me parlait beaucoup. Il me disait plein de choses et, à un moment donné, il me dit : « pas de stress ! ». Je le regarde en rigolant avec mon protège dents, et je lui dis : « il y a point S », la pub en fait. Il a été assez décontenancé par ma réaction et par le fait que je sois extrêmement détendue et relâchée. Je lui ai dit : « je suis bien, cela va bien se passer »... J’ai pris énormément de plaisir ! ».
La finale…
« Elle marque la première mais cela ne m’a absolument rien fait ! Je n’ai pas eu une once de stress, je suis restée entièrement lucide, et je me suis dit : « ok, elle a lancé le combat, maintenant, à moi de me lancer et d’aller chercher les points et les points se sont enquillés, 1 point, 2 points, 3 points. Tout ça pour finir par un 8-1. C’était juste magique ! On rêve tous d’une finale parfaite et bien, moi, je l’ai rêvée et je l’ai vécue. Cela restera à vie mon plus grand souvenir en compétition, peut-être jusqu’au Jeux (rires).
Quand l’arbitre dit « Yame » et me donne la victoire, je me suis revue… Toutes ces heures d’entraînement, ces moments de doutes, parce que la prépa de Bercy avait été très compliquée pour moi ! Je m’étais fait casser le nez, je n’avais fait que des contre-perf sur les compét de préparation… J’avais pris des roustes en plus ! Vraiment, je revenais de loin, et du coup, c’était empli d’émotions, encore aujourd’hui d’ailleurs ».
Les pleurs du souvenir
« Encore aujourd’hui, cela me remue pas mal… J’avais une pensée particulière pour mon grand-père, s’il me regardait de là-haut et pour un ami qui devait être là, qui avait pris ses billets et qui est décédé 2-3 mois avant. [… elle tombe en pleurs…]. Ils doivent être fier de moi, tous les deux là-haut. C’est pour ça que je n’ai fait que pleurer sur le podium pendant 1h30. J’ai pensé à tout ça, toutes ces heures de sacrifice. Cela en valait vraiment la peine ! Voilà, c’était mon Bercy ».