Il a commencé le Karaté en 1964. Il a participé à toutes les éditions des Championnats du monde depuis leur création en 1970, comme remplaçant, titulaire, entraîneur, DTN puis président de la FFK depuis 2001.

Du Karaté statique au Karaté olympique, Francis Didier a vécu toute l’histoire, tant hexagonale que mondiale. Et plus que la vivre, il a contribué à la ciseler et en a écrit des pans entiers.

Pour autant, qui connaît l’homme, son parcours, son histoire, son regard ? Francis Didier se raconte en « quelques » dates. Un récit dans lequel il conte et « déconte » 50 années de Karaté. Episode 1 : 1949-1970, de Nomexy à Tokyo, de la cité ouvrière aux 1ers Mondiaux.

Par Ludovic Mauchien / Photos : DR


L’idée était de faire découvrir un peu mieux l’homme à travers quelques dates marquantes de son histoire. Mais très vite, celle-ci s’est mélangée avec celle du Karaté, national comme international. Au final, 2 heures d’entretien à retranscrire et une saga à raconter.

Francis Didier, né en 1949 dans un village des Vosges de parents ouvriers, arrive dans le 9-5 à l’adolescence. C’est en passant soudainement du patois vosgien au langage des HLM de banlieue que l’idée lui vient subitement de pratiquer un sport de combat. En 1964, il commence son histoire avec le Karaté après avoir été motivé par ce qu’il a vu lors d’un cours… d’Aïkido. « Toute ma vie est un hasard », dit-il.

A l’époque, on ne fait pas dans la dentelle. C’est le temps du « coup qui tue ». Rapidement, il intègre l’équipe de France, « au début, un groupe de copains », raconte-t-il. Lui, c’est le « p’tit » de la bande, tant par la taille que par l’âge, mais pas le dernier à s’affirmer. 50 ans après, Francis Didier est passé du statut de remplaçant à celui de président.

Il est le seul dans le milieu du Karaté à avoir connu tous les Championnats du monde depuis leur création, comme athlète, entraîneur, DTN ou élu. Il s’est d’abord éclaté avec l’art martial, il a ensuite révolutionné et développé la pratique sportive. Vice-président de la WKF, il est l’un des acteurs centraux du Karaté international.

A l’aube de ses 70 ans (en décembre), à sa 55e année de pratique, il raconte son univers à travers son histoire, celle du Karaté. A sa façon, avec sa manière de voir.

  • §1949 : « JE SUIS ARRIVE DE L’ESPACE… »

ŸVillage et braconnage : « pas envie d’aller voir ailleurs »

« Je suis arrivé de l’espace, j’ai atterri à Nomexy, un petit patelin d’à peine 2000 habitants à côté d’Epinal, où je suis né. A cette époque, tout le monde allait à la grande ville. Pour nous, c’était Epinal (30 000 habitants dans les années 50). Quand tu prenais le bus ou la Micheline pour y aller, c’était tout un voyage !

Mon père était menuisier, ma mère était ouvrière d’usine, dans l’empire Boussac. Mes souvenirs ? 5h du matin, 1h de l’après-midi, 1h de l’après-midi, 9 heures du soir. C’est quand ils partaient et qu’ils revenaient du travail, quand ils faisaient les 2x8. Ils appelaient ça les 3x8, 8 h pour dormir, le reste pour travailler. Après Nomexy, on a vécu dans une cité ouvrière.

Cela ne m’a pas du tout donné l’envie d’aller voir ailleurs. Je braconnais, je « bribais » (sic) le poisson, la forêt. J’étais tranquille. L’école, ce n’était pas… (il rit) J’y allais tous les jours mais, parfois, je dormais. Je suis moins que provincial, je suis du village. Vraiment, c’est le trou du monde ! C’est tout petit !

Cela ne me manque pas. J’ai de bons souvenirs mais je l’ai quitté à 12 ans. De manière générale, rien ne me manque. Je n’ai pas de regret et je m’adapte à toutes les situations qui se présentent au fil de mon temps.

J’étais un enfant de « vieux » puisque ma mère m’a eu à 40 ans. Elle a d’abord eu mon frère, décédé à la naissance, et moi tout de suite après. C’était quelque chose d’assez difficile pour eux. En plus, dans les Vosges, c’est plutôt des grandes familles. Si tu es 5, 6, 7 ou 8 enfants, tu es une famille. Si tu es tout seul, tu n’es pas une famille. Mais ce n’est pas du tout avec regret ou souffrance que je raconte ça.

Si je restais dans les Vosges, je devenais ouvrier dans l’usine de textile, comme ma mère. Mes parents n’ont pas voulu de cette vie pour moi. Je l’ai découvert après ».

ŸDes Vosges au 9-5 : « j’en suis venu à vouloir faire un sport de combat »

« Dans la Micheline, mon père s’était fait copain avec quelqu’un qui travaillait dans une société d’HLM. Il a pu avoir un poste de gardien d’immeubles à Soisy-sous-Montmorency (Val d’Oise), où j’ai créé mon 1er club plus tard, l’AKSAM. On est monté dans un camion de transport et nous voilà parti. Voilà comment on s’est déraciné des Vosges.

Au début, j’ai eu du mal à m’adapter. C’est difficile de s’adapter à une vie banlieusarde ! Ils ne parlent pas comme toi, ils ont des expressions qu’il faut comprendre. En plus, nous, dans les Vosges, il y avait un parler, presqu’un patois, où il faut comprendre le sens des mots avec les intonations. C’est pour cela que j’en suis venu à vouloir faire un sport de combat. Je suis tombé dans le Karaté par hasard ».

  • §1964 : « JE SUIS DEVENU NOBLE : DIDIER DE ST-GRATIEN »

Ÿ Le St-Gratien de maître Jacques : « Un club de cogneurs ! »

« Mes débuts en Karaté ? J’étais en cours préparatoire à l’école centrale d’électronique. Un copain me dit : « Karaté ». Je ne savais pas ce que c’était. Le Karaté n’était pas connu du grand public, personne ne connaissait même. C’était un mot barbare, un mot de l’espace.

Il me donne l’adresse d’un club et je vais « rue de Montmorency ». C’était le club de Hoang Nam. Je regarde le cours, je rentre chez moi et je décide de m’inscrire au Karaté. Après mon 1er cours, je vais demander au prof pourquoi l’on n’a pas mis le pantalon noir ? C’est là que j’ai compris, qu’en fait, j’avais vu un cours d’Aïkido et je me suis retrouvé à m’inscrire au cours de Karaté !

Je ne suis pas resté longtemps, un mois. Un club s’est monté à St-Gratien. J’y suis allé et mon 1er prof était Jacques Bahut. C’est là que j’ai connu Jean-Pierre Lavorato. Il venait toutes les semaines donner des cours.

C’était un club de cogneurs ! On allait au kata à reculons. On ne savait pas ce que c’était, les katas ! Jacques Bahut était un traditionnaliste... A chaque fois qu’il nous disait Kata, c’était… oh, m… ».

Ÿ La ceinture noire : « Pas quelque chose de fort pour moi »

« Ma ceinture noire ? Je n’en sais rien du tout… Peut-être en 1966 car je l’avais quand j’étais en équipe de France. A l’époque, passer la ceinture était confidentiel. Cela se faisait au niveau de l’Île-de-France. J’ai un vague souvenir. Tu faisais un kata, puis un truc à deux et hop, c’était parti !

Pour moi, ce n’était pas quelque chose de fort. C’était une formalité. J’ai passé ma ceinture noire parce que Jacques Bahut me l’a dit. Il voulait que le club soit représenté. Moi, ce qui m’intéressait, c’était la compétition ».

Ÿ Le combat : « Il fallait que j’aille partout… »

« J’ai tout de suite été dans la compétition. Il fallait que j’aille combattre partout. Je prenais le train tout seul jusqu’à Gare du Nord puis le métro. Ma 1ère compétition était à la salle Japy, la 2e à Coubertin. Je suis devenu noble assez rapidement. Pourquoi ? Dans les articles, mon nom, c’était Didier de St-Gratien. Alors tout le monde croyait que je m’appelais De St-Gratien et que Didier était mon prénom ! ».

  • §1967 : « EN YOUGOSLAVIE, IL Y AVAIT LES FRERES JORGA… »

Ÿ L’équipe de France : « RDV rue de Jussieu et on partait… »

« Mes débuts en équipe de France… . Cela n’a pas représenté quelque chose d’important pour moi, comme si je rentrais dans une caravane qui existait. Ce n’était pas comme maintenant. On enfilait une petite veste bleue marine et un pantalon gris et on partait.

L’équipe de France au début, c’est un groupe de copains. On avait rendez-vous au magasin de Baroux, rue de Jussieu (Paris), et on partait pour l’Angleterre, l’Ecosse, la Yougoslavie… Le Karaté de compétition progressait d’année en année.

Pourquoi allait-on faire des combats en Yougoslavie ? Parce qu’il y avait les frères Jorga. C’est eux qui avaient introduit le Karaté en Yougoslavie. Et les Yougoslaves, c’étaient… c’est des cogneurs, quoi ! On partait à l’aventure.

L’équipe de France représentait une ouverture sur le monde, la possibilité de rencontrer d’autres personnes, de sortir… Le Karaté était quand même un milieu assez fermé, assez pauvre en composition au début. Il y avait trois compétitions par an : le championnat d’Île-de-France, la Coupe de France et le Championnat de France, plus quelques rencontres entre ligues ».

  • §1970 : « PARIS-KARACHI, KARACHI-NEW DELHI… JAPON ! »

Ÿ 1ers Mondiaux à Tokyo : « je ne crois pas avoir dépassé 2 tours »

« Se rendre aux Championnats du monde au Japon était avant tout une aventure de copains. Et un vrai périple ! On est parti à 12. Je crois que l’on a fait Paris-Karachi, Karachi-New Delhi, New Delhi-Bangkok, Bangkok-Hong Kong, Hong Kong-Japon. Avec plusieurs escales, cela devait coûter moins cher... Rien que ça, c’était une aventure !

Les individuels se sont déroulés à Tokyo et « les équipes » à Osaka. Mais ce n’est pas quelque chose qui m’a impressionné. Nous, les athlètes, on était à part. Les élus ont fait un défilé dans Tokyo avec les voitures. Ca, on ne l’a pas vu. On n’a pas vécu leurs réunions. Nous, on a vu l’hôtel et le palais des sports, point.

Le palais des sports, bon… Bien organisé… Mais je n’ai pas le souvenir de quelque chose d’impressionnant. Je ne faisais pas vraiment de différence entre un petit championnat et « le » championnat du monde. Pour moi, il fallait monter sur le tatami et voir ce que cela allait donner.

Je crois n’avoir pas dépassé 2 tours. Mais je n’ai plus grand souvenir. Il y avait 5 équipes japonaises !!! Cela ne faisait pas très sérieux ! En individuel, ce n’était pas très mobile, c’était dans l’axe. Je vois encore Dominique (Valera) en train d’attendre son Japonais pour lui placer un balayage. Il n’y avait pas beaucoup de mouvements. C’est un Karaté assez statique ».

A SUIVRE…