Vice-championne de France Kata le week-end dernier, Jessica Hugues est une karatéka que la vie n’a pas épargnée. Dégénérescence de la rétine décelée à la naissance, fracture de la cervicale C1 à 20 ans, alors qu’elle est en pleine expansion de sa carrière, cette jeune femme de 23 ans est de retour au plus haut niveau. Déterminée, humble et souriante à la vie, c’est sans filtre qu’elle se livre sur sa vie et son karaté.
Par Florian Fournier / Photo : D.R.
Elle a débuté à 3 ans et demi en baby karaté chez Guy Berger, au Samouraï de Toulon. En parallèle, elle pratique la danse classique jusqu’à ses 8 ans, où elle décide de se consacrer exclusivement au karaté. Trouvant en Guy Berger un deuxième papa, le karaté est devenu l’école de la vie qui lui a permis d’affronter sa maladie oculaire.
Sélectionnée très jeune en équipe de France, elle termine 5e aux Championnats d’Europe cadets à Paris en 2009. Progressant très vite, elle obtient le bronze lors des Championnats du monde cadets à Rabat (Maroc) en 2009. Puis elle devient championne du monde juniors par équipe en Malaisie (2011).
Surclassée dans l’équipe sénior, elle remporte le titre de championne d’Europe et termine troisième des Championnats du monde de Paris en 2012 à tout juste 18 ans. Se consacrant ensuite à l’individuel, elle obtient une belle 5e place lors de l’Open de Paris 2015, puis se blesse grièvement quelques semaines après.
Une fracture de la cervicale C1 lors d’un Bunkaï de démonstration et les espoirs de grande carrière de Jessica Hugues s’envolent. Mais, tel un Phénix, elle renaît au karaté et, plus que jamais, elle est déterminée à continuer sa carrière et combattre sur les tatamis et en dehors. Elle s’exprime pour la première fois sur ses combats…
Tu es une vraie miraculée !...
Oui, on peut dire que je suis une miraculée de la vie. Parfois, il m’arrive d’en vouloir à la terre entière en me demandant : « pourquoi moi ? », « pourquoi m’arrive-t-il tout ça ? ». Mes yeux, c’est quelque chose qui me pèse au quotidien. C’est un combat que je mène depuis ma naissance et à propos duquel j’avais décidé de ne jamais parler.
Dès mon jeune âge, on m’a annoncé une dégénérescence de la rétine, ce qui implique une possibilité aigue de perdre la vue. Miraculeusement, aujourd’hui, je ne suis pas aveugle et j’espère que, dans mon cas, cela n’arrivera pas, ou que la médecine aura trouvé un traitement d’ici-là.
Pour moi, cette maladie est une grande souffrance. Alors, le fait que je sois arrivée en équipe de France a été pour mes parents et moi-même une vraie fierté. Malgré tout, cela reste un handicap. Je ne peux pas conduire, je ne peux pas travailler, etc.
Pour l’anecdote, on pense parfois que je suis hautaine car je ne dis pas bonjour, alors que c’est tout simplement parce que je ne vois pas les gens. Tout ce qui se trouve à moins d’un mètre m’est inconnu.
Comment as-tu réagi après ta grave blessure ? Avais-tu en toi une pointe de frustration de ne plus pouvoir faire ce que tu aimes le plus, du Karaté ?
Evidemment, même si je suis « miraculée » de la vie, j’ai eu cette pensée. D’ailleurs, mes premiers mots au chirurgien ont été : « vais-je pouvoir refaire du karaté ? ». Et le plus difficile a été d’accepter la réponse du corps médical, qui m’a clairement fait comprendre que ce n’était pas possible. Je me souviens surtout de cette phrase : « Mademoiselle, vous allez pouvoir vous reconvertir et faire plein d’autres choses ». Mais, connaissant ma maladie, je savais que cela serait difficile.
Alors je me suis dit : « le karaté, c’est ta vie, peu importe la manière, tu continueras à en faire ». Et je pense que c’est cette force, cette volonté et l’amour que j’ai reçue de la part de tous qui a fait que j’en suis là aujourd’hui.
Quels ont été les facteurs clefs de ta reconstruction ?
Mon cas a fait le tour du monde. Après plusieurs semaines de recherche, on m’a posé un halo crânien (un système de quatre vis posé dans le crâne sur lequel on pose un halo, le tout fixé à un corset qui permet de maintenir la tête droite et fixe). Mais, avant cette solution, j’avais subi trois autres corsets. En tout, je suis restée allongée quatre semaines sans me lever une seule fois.
Les facteurs de cette renaissance sont simples : c’est mon caractère. Mon obstination à n’en faire qu’à ma tête, c’est le cas de le dire (rires). Je me répétais sans cesse : « tu vas remarcher, tu en es capable, tu vas retourner pratiquer du karaté. »
Cependant, je dois dire que cela fut difficile. Dans cette reconstruction, le retour à la maison où j’avais ce système qui me tenait, qui faisait que je dormais debout et, surtout, le fait d’être de plus en plus consciente, car les doses de morphine étaient moindres, me faisait souffrir.
Mais malgré cela, je n’ai rien lâché. Bien aidé par mon compagnon qui est coach sportif (Romain Lacoste), j’ai repris le sport tout doucement, même si c’était déconseillé, car j’en ressentais le besoin. C’est ce bien-être qui m’a permis de me reconstruire plus rapidement.
Le karaté restant interdit, une fois le halo retiré, je me suis prise de passion pour le body building. N’ayant eu aucune prise en charge médical, la musculation m’a permis de me reconstruire et c’est en me fixant un objectif de compétition que j’ai réussi à m’en sortir. Si je n’avais pas eu le fitness pendant mes deux ans d’interdiction de karaté, je ne sais pas ce que je serai devenue. C’était un réel échappatoire et une motivation sans pareil. Sans le sport, sans ces deux choses, je ne me sens pas bien.
Finalement, le sport, la passion et l’amour ont été les meilleurs médicaments ?
Oui, c’est totalement ça. N’ayant pas eu de suivi psychologique, sans l’amour de mes proches, du sport et des gens en général, ma reconstruction aurait été calamiteuse. D’ailleurs, je me souviens que, dès le début, pour m’aider à rester positive, mon compagnon me lisait les messages des gens sur les réseaux sociaux. Et quand on reçoit autant de soutien de la part de personnes qui sont plus ou moins proches, voire pas du tout, ça fait extrêmement chaud au cœur. Je ne remercierais jamais assez tout le monde pour cet amour qu’on m’a donné.
« JE VISE LES JO 2024 »
Comment s’est passé ton retour sur les tatamis ?
Avec beaucoup d’émotions. La première fois où j’ai remis les pieds sur un tatami, j’ai versé une petite larme. C’était un bonheur immense et un soulagement indescriptible.
Pour la petite histoire, je voulais reprendre au bout d’un an pour faire équipe avec Sandy Scordo mais mon chirurgien était contre. J’ai donc attendu septembre 2016 pour reprendre doucement le karaté.
Ce retour a été très dur, même si techniquement, je n’ai rien perdu, ni au niveau de la souplesse. Mais, physiquement, il m’arrive de piocher fortement.
Au début, en faisant Unsu, ça résonnait dans ma tête au moment de la chute pour effectuer les deux Mawashi Geri. En réalité, mentalement, il faut que je me dise que c’est une nouvelle Jessica qui est dans le karaté-gi et pas la Jessica d’avant. Cependant, le travail porte ses fruits. Depuis mon retour avec l’équipe de France en septembre, je me sens de mieux en mieux.
Quand tu as pu reprendre le karaté, croyais-tu pouvoir revenir en équipe de France ?
Au début, je me disais juste que reprendre le karaté était déjà une belle victoire pour moi. Mais, en réalité, c’était le discours officiel que je racontais à mes proches. Au fond de moi, le discours était différent. La compétitrice qui sommeillait en moi depuis deux ans n’avait qu’une idée en tête : tenter de revenir au plus haut niveau.
A vrai dire, ça s’est passé très rapidement et de manière amusante. En 2017, je fais mon premier championnat de France depuis ma blessure, je termine deuxième et c’était un 1er avril. On pouvait croire à une blague mais non ! J’étais bien de retour et sur le podium en plus.
Ensuite, on m’a rappelé en équipe de France et, lors de ma convocation pour un stage à Montpellier, j’étais très émue. Revenir en équipe de France, c’est pour moi une fierté sans nom. Il n’a rien de plus beau que de représenter son pays et de revêtir l’écusson bleu, blanc, rouge sur son karaté-gi.
Quels sont tes objectifs à venir et où te situes-tu dans la hiérarchie ?
Bien qu’ambitieuse, je reste réaliste. Je vise les JO 2024 à Paris. Je suis consciente que mon retour au plus haut niveau international sera long. Je préfère voir loin. Aujourd’hui, je dois « me refaire un nom » et progresser au ranking mondial (76e actuellement) pour prétendre à une place de titulaire individuel en équipe de France et à une qualification olympique. Cependant, mon intégration au collectif olympique m’a apporté des objectifs nouveaux.
Même si je pensais ne pas avoir le niveau pour, car je suis très perfectionniste, je me suis dit : « non, je ne peux pas refuser cette proposition ». Je me suis lancée et j’ai rejoint Alexandra Feracci et Sandy Scordo dans ce collectif olympique du kata féminin individuel. C’est une bonne chose car, en plus du travail intense que l’on fait avec les entraîneurs, cela nous permet d’être présentes sur toutes les grosses compétitions du circuit mondial.
Enfin, dans cette optique de retrouver un nom sur ce circuit, j’ai accepté de relever le challenge de faire équipe avec les sœurs Bui (Marie et Lila) en adaptant le Bunkaï. C’est un très beau challenge sportif et humain qui s’annonce.
« APRES MA CARRIERE, JE SERAI MAMAN »
Comment s’organise ta vie d’athlète ?
Avant de parler d’organisation, le mot que je peux dire c’est sacrifice. Un athlète de haut niveau, il passe sa vie à faire des sacrifices. J’ai intégré le collectif olympique en septembre dernier et le rythme est très élevé. Mais c’est le passage obligatoire pour réussir. Quand nous ne sommes pas en compétition, nous somme soit en stage, soit au CREPS de Châtenay-Malabry pendant quatre jours, du jeudi au dimanche. On a peut-être un week-end de libre par mois.
Au niveau du travail, c’est 4h d’entraînement le matin et 4h l’après-midi quand on est tous regroupés. Ils englobent la préparation physique et les séances karaté. Sinon, c’est entraînement tous les jours avec trois séances de préparation physique additionnées par semaine.
Quels sont tes ambitions après ta carrière ? Souhaites-tu rester dans le karaté ?
C’est une question que je refuse de me poser pour le moment, notamment dû à ma maladie, étant donné que, professionnellement, je ne peux quasiment rien faire. Il faut savoir que je vis d’une pension alimentaire d’un adulte handicapé. Je préfère donc vivre au jour le jour et ne pas me poser cette question. Il n’y a qu’une seule chose dont je suis sûre, c’est qu’après ma carrière, je serai maman. Et si la vie me le permet, je profiterais à 100% de mon enfant au quotidien.