Bien plus qu’une surprise, cela va être un grand plaisir et un soulagement de croiser Stanislav Horuna et l’équipe nationale ukrainienne au Karaté 1 de Porto.

Mobilisé le 1er mois de la guerre, le médaillé de bronze olympique (-75 kg) se démène depuis comme bénévole pour aider les réfugiés et réconforter les soldats.

Bien sûr, à Porto, il ne sera pas au top de sa forme. Et alors ?! Comme il le dit, « aujourd’hui, le Karaté, ce n’est pas du sport, c’est de la santé mentale ».

Revoir sa femme et son fils, réfugiés en Hongrie, qui seront à Porto, sera déjà une victoire pour lui.

Par Ludovic Mauchien / Photos : DR


Ma première question, bien sûr, est : comment vas-tu ?

… Je vais bien… Je vais bien…. On reste fort…

A quoi ressemble ta vie depuis l’invasion russe ?

J’ai passé le 1er mois dans une caserne militaire, à patrouiller jour et nuit. Je rentrais chez moi pour dormir et prendre une douche. Puis je revenais à la base pour patrouiller à nouveau.

Ensuite, la situation est devenue plus stable, mieux contrôlée par nos forces militaires. Ils m’ont dit que je pouvais moins patrouiller, une ou deux fois par semaine. J’ai pu consacrer du temps à l’entraînement.

Quand j’ai eu plus de temps libre, j’ai commencé à faire du bénévolat. Je lève des fonds, je m’occupe des réfugiés d’autres régions ou des soldats. J’essaie de trouver ou de leur acheter tout ce dont ils ont besoin.

Dans la vie de tous les jours, bien sûr, tout le temps, je regarde les news. Que s’est-il passé, qui a dit quoi.

Et ta femme, ton fils ?

Ils sont à Budapest pour l’instant. Un ami leur a donné un appartement pour rester. Ils vont bien. Ils vont venir au Portugal pour me voir combattre. Ce sera la 1ère fois qu’ils viennent me voir en compétition.

Quel a été ton entraînement en Karaté ? Penses-tu être prêt pour une telle compétition ?

Bien sûr que non, je ne suis pas prêt. Mes entraînements n’ont pas suffi pour me remettre en forme, surtout après un mois passé en camp militaire, où je ne faisais rien, je ne dormais pas et je ne mangeais pas correctement, j’étais stressé tout le temps… Je ne suis donc pas au top de ma forme. Mais peu importe. Je vais faire du mieux que je peux à cette compétition. J’espère que je ferai quelques combats intéressants.

Pourquoi faire ce Karate 1 ?

… Le Karaté, en ce moment, pour moi aussi, ce n’est pas seulement du sport mais c’est de la santé mentale. Lorsque vous avez la possibilité de faire ce que vous faisiez auparavant, de reprendre vos habitudes, de reprendre une partie de votre vie normale, cela vous donne une certaine confiance et vous permet d’évacuer le stress.

Tu as besoin du Karaté pour oublier ton quotidien, c’est ce que tu dis ?

Oui, c’est ce que je veux dire, me distraire de toutes ces mauvaises nouvelles, pour quelques heures, pour une journée... Je ne penserai peut-être pas à toute ces horreurs qui se déroulent en Ukraine.

Je le fais aussi pour les enfants. Nos entraîneurs font des cours en ligne pour les enfants et ceux-ci sont si heureux d’être ensemble, de se retrouver avec d’autres pratiquants, avec leurs entraîneurs… Les parents sont aussi enchantés. Tout le monde est content de pouvoir pratiquer du Karaté, même en ligne, même là où il se trouve, dans des caves, dans des villes bombardées... C’est une bonne occasion de se retrouver. C’est bon pour notre mental. Le Karaté, en ce moment, c’est pour notre santé mentale, c’est certain.

La raison pour laquelle je participe à cette compétition, c’est un peu tout ça. Je veux me distraire de toutes ces choses. Je vais prendre un peu de repos et, ensuite, je reviendrai ici bien sûr, pour continuer à faire ce que je fais.

Comment t’es-tu entraîné ? Seul ?

Non, je ne me suis pas entraîné tout seul. Je vis à Lviv, qui est plus ou moins un endroit sûr. Beaucoup d’habitants des villes de l’Est ne sont pas partis à l’étranger et sont venus à Lviv, dans l’Ouest. Nous avons ici de nombreux athlètes d’autres villes, de Kiev, d’Odessa, de Zaporijia, de Kharkiv… Ils viennent dans notre Dojo et nous nous entraînons ensemble.

Lviv a été frappée lundi par des bombes. Comment vis-tu cette situation ?

Ce n’est pas nouveau. Nous avons déjà connu des bombardements avant celui de lundi. On réagit selon l’heure à laquelle cela se produit. Une fois, c’est arrivé tôt le matin et je dormais. Cela m’a réveillé.

Mais il faut comprendre que, pour nous, c’est une « chose normale ». Nous nous sommes adaptés aux bombardements. Il n’y a pas de panique lorsqu’on voit des frappes de roquettes, lorsqu’on entend une explosion. Cela fait partie de notre vie aujourd’hui.

Comment vois-tu l’avenir ?

(Il rit). J’évite toujours de faire des pronostics. Aujourd’hui (lire mardi), la situation semble très bonne, avec nos victoires. Nous avons repoussé la majeure partie de l’armée russe. Elle a quitté les régions du Centre et s’est concentrée dans les régions de l’Est et du Sud.

Les Russes manquent de ressources, de personnes, d’armes, d’avions et, de l’autre côté, nous sommes de plus en plus soutenus par l’Union Européenne, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Turquie, l’Azerbaïdjan… De nombreux pays nous soutiennent.

Maintenant, ils ont commencé la 2e phase. Lundi soir, dans l’Est, cela a été très dur, très dangereux. Les prochains jours s’annoncent terribles, comme la 1ère semaine de la guerre. Si nous réussissons à défendre la région du Donbass, alors, à coup sûr, nous gagnerons cette guerre.

Avez-vous, toi et le peuple ukrainien, été surpris par cette attaque russe ?

Les Ukrainiens ne s’y attendaient pas. On savait que cela pouvait arriver mais personne ne voulait y croire. Notre armée, c’est sûr, elle le savait. Elle s’était préparée. Nous avons moins de monde, moins de matériel mais nous parvenons quand même à changer la donne et à ruiner tous les plans russes. Notre gouvernement n’a pas informé le peuple de cette guerre à venir parce qu’il ne voulait pas semer la panique.

S’il l’avait dit une semaine avant le début de l’offensive, les gens auraient paniqué et se seraient enfuis vers l’Est. Toutes les routes auraient été bloquées. Nos voies de transport auraient été paralysées. La mobilisation n’aurait pas été possible.

Le gouvernement a pris cette décision difficile. S’il l’avait dit, cela aurait sauvé des vies au début. Mais, à la fin, ça aurait été pire. Je pense qu’ils ont pris la bonne décision.

Ukraine team avant départ

L'équipe ukrainienne juste avant son départ pour le Portugal.