Pour les plus jeunes, Jan Kallenbach, c’est l’un des « Expendables » du Karaté, un « expérimenteur » de KO. Eh bien, le « petit » lui a tapé dans l’œil. Enfin, façon de parler. Francis Didier, champion d’Europe en 73 au nez et à la barbe des « gros », l’a même affronté en 74.
L’actuel président de la FFKaraté nous raconte tout ça dans le 2e opus de son histoire où il conte et « déconte » 50 années de Karaté, du statique à l’olympique. Il n’a manqué aucun championnat du monde dans l’histoire, a été au cœur de l’aventure. Un témoin privilégié. Episode 2 : 1972-1980, de Valera à Montama.
Par Ludovic Mauchien
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- § 1972 : « Petitdemange ne perd pas un combat »
Coubertin : « Pas si grand comme événement »
« Les Championnats du monde à Coubertin ? Si on regarde les films, ce n’était pas si grand comme événement. En fait, on est dans le souvenir et dans l’image de marque, même si l’on n’y a pas été. On était sur une plateforme, au centre. Mais il y avait des moments où il n’y avait pas grand monde non plus. Cela a attiré du monde après.
Ce dont je me souviens bien, ce sont les individuels. J’ai dû faire 3 ou 4 tours, j’ai perdu sur un Yougoslave. Le plus important, c’était le match par équipe, avec Petitdemange qui ne perd pas un combat.
Il y avait des combats intéressants, avec les Américains notamment. Mais le Karaté de 72 n’était pas très mobile. Tout était dans l’axe. Il suffit de revoir les images de Watanabe qui gagne ce championnat avec un Gyaku tsuki, point ».
Bluming, Fitkin… : « Un Karaté plus mobile, circulaire »
« Avant les championnats du monde, il y avait d’abord eu les Championnats d’Europe à Anderlecht où il y avait du beau monde !... Et, là, révélation ! Au-delà du Championnat du monde 72, toute cette époque de 1972-1973-1974, c’est l’arrivée du Karaté hollandais, de Jon Bluming, de Jan Kallenbach, celle du Karaté anglais, avec Brian Fitkin (champion d’Europe 1976, prof de Ralph Lundgren), Ticky Donovan, un Karaté plus mobile et circulaire.
Anglais et Hollandais étaient tous des mecs du Kyokushinkaï. En fait, les Français étaient un peu enfermés dans un Karaté dit Shotokan, alors qu’eux étaient plus libres. Ils étaient freestyle. Tout cela, ça enrichit.
1972, c’est aussi l’année du développement du Kyokushinkaï et du Shukokaï, discipline uniquement fait pour la compétition, avec un style très en ligne, très japonais, mais déjà avec des combinaisons ».
- § 1973 : « On copiait la Boxe anglaise, la Boxe thaï… »
Champion d’Europe ! : « Fitkin, Kallenbach et Kotzebue ont été disqualifiés »
« Comment fait-on quand on est petit pour battre les gros ?... Bah, ils n’étaient pas là ! (il rit). Comme dans toutes les compétitions, il y a la chance. Il n’y avait pas Valera, ni Gilbert Gruss. Ils avaient arrêté en 1972. Cela faisait déjà deux morceaux en moins. Puis Fitkin a été disqualifié -il avait pété le sternum à un combattant-, Kallenbach et Kotzebue ont aussi été disqualifiés. En fin de compte, la porte était ouverte jusqu’au bout. C’était mon année de chance. Je me suis fait péter la lèvre rapidement. A l’époque, de toute façon, on était amoché à tous les combats. C’était une tradition ».
« ON FAISAIT DU JUDO POUR COMPRENDRE LE MOUVEMENT DE BALAYAGE »
Entraîneur national ! « C’était la découverte. On était en pleine création »
« C’est toujours pareil, je suis devenu entraîneur parce que tout le monde était parti (il rit). Dominique (Valera) était en Espagne, Gilbert (Gruss) en Allemagne, Guy (Sauvin) était DTN. Parce que j’étais un bon technicien, on m’a mis là. Alors, j’ai fait ce que j’ai pu.
Cela m’a beaucoup servi pour la suite. Tout ce que j’ai fait… Etre créatif, avoir de l’imagination, chercher à droite et à gauche. On était en pleine création. On ne pouvait pas se baser sur un Karaté traditionnel. Les entraînements en club, c’était traditionnellement l’échauffement, ½ heure de Kihon, ½ heure d’application 2 par 2, puis du randori. Et, de temps en temps, on faisait un peu de kata. C’était la formule.
Lors des entraînements équipe de France, je ne pouvais pas faire de Kihon ! Alors, on a copié. C’était l’époque de la découverte. On copiait la Boxe anglaise. On avait des pao, on copiait sur la Boxe thaï… C’était un mélange de tout.
C’était l’époque des balayages. On faisait du Judo pour essayer de comprendre le mouvement. Nous, nous n’avions pas l’action des mains. Pour balayer, il fallait bien savoir faire un leurre pour se placer afin de balayer.
C’était aussi l’époque des blessures. On explorait ! C’était bien de taper comme des sourds mais, maintenant, tous les anciens sont pleins d’arthrose, ont les genoux pétés… (Il rit). C’était un laboratoire ».
Kallenbach et « le petit » : « il faisait deux têtes de plus que moi ! »
« Quand je gagne le Championnat en 73, Kallenbach vient me voir dans les vestiaires. Il parle bien le français. Je ne sais pas pourquoi mais il m’avait à la bonne. Il faisait deux têtes de plus que moi. Il était beaucoup plus mature que moi. J’étais comme un adolescent à côté d’un homme.
J’étais le plus jeune de toute l’équipe. J’avais 17 ans quand j’ai commencé. J’ai toujours vieilli avec les autres. Mais il y a beaucoup de décalage quand on a 20 ans et l’autre 25, ou 17 et Jean-Pierre (Lavorato) ou Gilbert (Gruss) 6 de plus… J’étais décalé avec tout le monde.
En fait, je pense que Kallenbach, il aimait bien le « petit » ! (il rit). Il vient me donner ses « congratulations » et, comme je déconnais tout le temps, j’ai fait comme si cela n’était pas très important ».
- § 1974 : « La leçon de ma vie (d’homme)… »
Crystal Palace : « Il m’a pris à droite, à gauche… »
« En 1974, je suis obligé d’y retourner pour remettre le titre de champion d’Europe en jeu. Je n’ai pas trop envie… C’est au Crystal Palace, à Londres. C’était l’année de Kallenbach ! J’ai dû le rencontrer en ¼ de finale. Il m’a pris à droite, à gauche, il ne m’a pas fait mal (il rit), il est passé et il a gagné le championnat d’Europe.
Moi, je voulais lui rendre l’ascenseur de 73, le féliciter. En plus, j’étais rudement content qu’il gagne le championnat d’Europe. C’était la 1ère fois. Il aurait dû gagner depuis longtemps ! Mais il n’avait pas un Karaté adapté aux règles de compétition.
Bref, je vais le féliciter et… J’ai pris la leçon de ma vie ! Je me suis retrouvé face à quelqu’un qui m’a dit que ce n’était pas important de gagner ou de perdre. L’important, c’est comment on est et ce que l’on fait. Il était en train de me relativiser le monde extérieur. Lui, il était dans la recherche d’une certaine vérité de combat. La compétition était pour lui un outil qui passait au gré du temps. Il était en pleine recherche sur le combat total ».
« TOUT MA VIE EST UN HASARD »
- § 1977 : « Si tu veux, j’y vais… »
5e aux Mondiaux Kata : « On n’avait pas de représentant… »
« J’y suis par hasard ! (il rit). Toute ma vie est un hasard. Dans ce championnat, je suis l’entraîneur. Delcourt vient me voir et me dit qu’on a amené personne pour les katas. Il était le Chairman de la Fédération Mondiale. Il balisait parce qu’il n’avait pas amené de Français pour le Kata. On n’avait pas de représentant. Je lui ai dit : « si tu veux, j’y vais. Voilà… ».
Mes Katas ? Euh… Kankudaï et, je crois, Bassaï Daï. J’ai fait 2 ou 3 tours. J’ai fait 5e, je crois. J’étais en représentation, je m’en foutais. Je ne suis pas monté sur le tapis avec du stress. Je faisais mon boulot parce que l’on m’avait demandé d’être le représentant français. Je n’étais pas là pour aller au bout. Je n’étais pas entraîné pour ça.
Je ne m’étais d’ailleurs pas entraîné du tout, sinon dans mon club parce que j’enseignais. Mais je n’étais pas dans les codes ! On ne connaissait pas du tout les arbitres. De quelles branches étaient-ils ? Moi, je suis arrivé avec les katas que je connaissais ».
- § 1980 : « Montama, le 1er Seydina Baldé »
Le 1er Français champion du monde : « Une suite logique »
« C’était Gilbert (Gruss) l’entraîneur. Il avait pris les Seniors et moi, je m’occupais de l’équipe. Je travaillais avec lui mais il avait plus les rênes. C’était un grand Championnat du monde. De toute façon, en Europe, seules l’Espagne ou la France pouvaient organiser de telles manifestations. C’est l’époque des Micholet, qui n’a pas combattu. J’étais bien content qu’il y ait quelqu’un avec moi, j’avais porté la charge tout seul.
Je n’ai pas le souvenir d’avoir eu une émotion particulière quand Montama est devenu champion du monde. On trouvait ça normal, que c’était une suite logique. De toute façon, Montana était un très bel athlète ! Quand on faisait les préparations physiques, c’était lui le préparateur ! Ce n’était pas nous ! (il rit). Quand je dis athlète, c’était athlète ! Il aurait fait de l’athlétisme… Ils avaient du souci à se faire.
Il a arrêté. C’était un peu la tradition française... ! On a un titre et paf, on arrête. Il aurait dû continuer. C’était le 1er Seydina Baldé. Jambes avant, jambes arrière, les poings, techniquement, il avait tout. Il aurait dû continuer pour se faire un nom dans la discipline. Quand on gagne deux ou trois fois, le temps parle ».
L'équipe de France sous la houlette de Francis Didier (en bas à gauche).