Ce qui distingue les arts martiaux des autres pratiques physiques, les sports, c’est leur relation avec la culture, ces siècles d’histoire et de tradition qui se s’entremêlent à la technique, cette approche intellectuelle qui entrouvre des chemins vers l’accomplissement, qui ouvre la voie des arts martiaux. En plus du Karaté, Barbara Porcellini a décidé de pénétrer l’esprit japonais par l’Ikebana, l’art floral traditionnel, qui présente beaucoup de similitudes avec le Karate-Do.

Par Ludovic Mauchien / Photos : DR


Ikebana, ou encore Kado, c’est la « voie des fleurs », ou « l’art de faire vivre les fleurs ». C’est l’art traditionnel japonais de la composition florale. C’est aussi une manière de (re)découvrir la nature, de la respecter et de la soigner encore plus, de la mettre en valeur. Sa pratique est codifiée. Son apprentissage est régulé par des « Katas » de fleurs. Sa maîtrise demande une connaissance technique et historique comme le requiert l’art martial. C’est une histoire de vie et de mort, de cheminement, de vide, d’avenir et de passé…

Ceinture noire 1er Dan de Karaté, formée à l’école de Jacques Tapol, Barbara Porcellini a découvert l’Ikebana il y a 8 ans. Elle a accroché et est devenue passionnée. Elle peut désormais l’enseigner. Elle nous éclaire sur cet art ancestral.

L’histoire et la philosophie : au fil de l’eau…

Sensho Ikenobo, le moine qui a rédigé les premiers écrits de l’Ikebana, vivait au Temple Rocakudo à Kyoto, au bord d’un lac. C’est lui qui a donné son nom à la plus ancienne école d’Ikebana fondée au 6e siècle. C’est la plus traditionnelle.

L’eau est un symbole important parce que l’Ikebana a été écrit sur les principes bouddhistes avec la notion de ciel, homme et terre, qui sont représentés par 3 végétaux principaux (Shin, Soe, Ikaï). On compose ensuite autour d’eux. On fait donc toujours apparaître l’eau dans une composition traditionnelle. L’aspect final de l’alignement des végétaux dans les compositions traditionnelles doit susciter l’enracinement.

L’apprentissage : « 50 Katas à apprendre »

Dans l’école que je pratique, l’école Sogetsu, l’apprentissage de l’Ikebana est basé sur 5 livres, soit une cinquantaine de compositions pour les deux premiers livres. On passe (ou pas) l’examen pour enseigner au bout du 3e livre. Comme l’apprentissage du Karaté-Do avec les passages de ceinture, tu valides les bases que tu as acquises. Au total, il y a 50 Katas de base à apprendre. Cela nécessite 4-5 ans. Aller vite, c’est bien, mais le mieux est de prendre son temps, et surtout de comprendre.

Du 1er au 50e Kata, il peut y avoir plus de matériaux, des métaux ou du bois, plus de végétaux, donc plus de créativité et de recherche. Dans les compositions de base, tu as un modèle à suivre, telle fleur ici, telle fleur là, la position du vase, la position du pique-fleur… Tout a une place. Tu suis ce que l’on dit, ce qu’il y a d’écrit, comme quand tu apprends un Kata.

Après, c’est de la création pure. On peut utiliser tout ce que l’on veut à partir du moment où c’est cohérent. La cohérence, c’est qu’il y ait toujours le vide, l’harmonie, le respect, les couleurs, que la composition raconte une histoire. On ne peut pas partir dans tous les sens.

Le cheminement : « partir de rien et construire »

« Le cheminement dans l’Ikebana, cela va être de se lever de très bonne heure et d’aller en forêt. Tu as toute l’odeur des bois, c’est super agréable. Et tu vas essayer de trouver la branche qui fait que ça va te parler. Ensuite, tu vas préparer tes fleurs, ton vase, couper tes branches, composer pour trouver l’aspect final.

Par exemple, dans le combat ou le kata, un pratiquant de Karaté va aussi se préparer en prenant son sac, aller au Dojo, enlever ses chaussures, enfiler le karatégi, faire le salut, suivre le cours puis travailler spécifiquement un kata par exemple. Tout cheminement qui fait que tu répètes 100 fois les mêmes gestes, jusqu’à l’aspect final, c’est ce qui est intéressant dans le Do, la voie.

On ne compose pas un kata mais on ne l’interprète pas de la même façon quand on est ceinture jaune ou ceinture noire avec 45 ans de pratique. Pour comprendre, il faut du temps. C’est propre à chacun mais, ce que j’aime, c’est le cheminement, partir de rien et construire quelque chose. Lorsque tu veux créer un arrangement floral, cela commence par aller chercher ses végétaux. La pratique de l’Ikebana modifie beaucoup le regard sur l’environnement végétal. Comment pousse un arbre, une fleur ? Si on trouve une branche d’arbre qui n’a pas poussé comme les autres, de façon un peu tordue, qui a « un défaut », on va l’utiliser afin de mettre ce « défaut » en valeur.

L’accomplissement : « oublier les codes »

« En fait, au début où tu as la possibilité de créer, tu t’aperçois que tu es un peu coincée parce que tu as toutes tes bases dans la tête et qu’il faut que tu casses les codes. Tu ne sais pas trop comment faire. Tu ne trouves pas toujours cela génial. Tu as tellement l’habitude de respecter les règles.

Au début, je n’ai pas pris tellement de plaisir à créer des compositions de style libre. Mais, avec le temps, on se lâche. L’inspiration vient assez naturellement. Il faut laisser aller son esprit, essayer de « faire le vide », oublier les codes, les bases, le côté très rigide, très strict qu’il peut y avoir dans les compositions traditionnelles, et laisser aller l’esprit à un côté créatif.

Comme dans tous les arts, y compris les arts japonais et les arts martiaux, avant de pouvoir se sentir en libre expression dans une pratique, il faut quand même un peu de temps ».

portrait

Une composition réussie ? : « Le vide donne le mouvement »

« Le placement, l’alignement des végétaux est essentiel. Après, pour moi, une composition réussie est une composition qui transmet quelque chose, qui nous parle quand on la regarde, qui nous fait ressentir quelque chose de fort, comme devant un tableau, une calligraphie ou quelqu’un qui exécute un Kata de Karaté-Do… C’est la beauté, l’harmonie, la symbiose entre les fleurs et le vide.

La notion de vide en Ikebana est quelque chose d’essentiel. Le vide fait partie intégrante du dynamisme de la composition. C’est ce qui va accentuer un mouvement. Par exemple, si on a une branche avec une forme particulière, on va la placer seule pour la mettre en valeur. C’est ce qui va donner une dynamique, comme un coup de crayon sur une composition contemporaine, ou coup de pinceau sur une calligraphie ».

Une pratique martiale ? : « l’Ikebana, c’est la vie et la mort »

« Comme c’est un art éphémère, on a cette notion de vie et de mort dans l’Ikebana. On va faire une composition et 3 jours après, boum. Elle évolue aussi entre le 1er et le 3e jour. Cela donne quelque chose de complètement différent. Des fleurs en bouton vont s’ouvrir puis se faner. Dans une composition, il y a aussi la notion d’avenir et de passé. Cela raconte une histoire. Il y a une philosophie. On vit quelque chose, une expérience.

L’Ikebana était enseigné dans l’école Samouraï, Bunbo, parce que les Samouraï ne devaient pas être que des hommes de combat. Ils devaient aussi être sensibles à l’esthétique et au raffinement, chose qu’amène l’Ikebana.

Le lien que j’ai aussi trouvé entre les arts martiaux, traditionnels ou pas, et l’Ikebana ou la calligraphie, est le fait que l’on retrouve toujours cet aspect de respect, d’esthétique, de beauté des choses. Je trouve intéressant de pouvoir pratiquer les deux, de comprendre, par exemple, que ce qui est beau n’est pas forcément quelque chose de parfait.

Prenons quelqu’un qui réalise un Kata de Karaté, pas aussi parfait qu’un compétiteur dans la recherche du geste ultraprécis, c’est aussi très beau. Ce qui va être intéressant, c’est l’intensité, l’intention que la personne y met, le regard, même si les gestes sont moins parfaits. C’est pareil dans l’Ikebana. C’est ça le lien entre les arts martiaux et l’Ikebana : respect, harmonie… ».

Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. / Facebook / twitter

 

Expositions

-Expo permanente galerie Art&Parfums, 9 rue Française (Paris 2e)

-9 au 18 mai. Parc floral de Vincennes (94). Ateliers programmés

-11 au 18 mai. Espace des Minimes à Compiegne

-Juillet 2018. Exposition à Taormina (Sicile)

-Novembre 2018. Exposition à Rome