Va-t-il gagner son 6e titre de champion du monde ? Va-t-il à nouveau écrire l’histoire ? La même interrogation revient tous les deux ans depuis une décennie. Rafaël Aghayev, l’homme de tous les records avec ses 5 titres de champion du monde et ses 11 sacres européens, est-il toujours aussi fort ?
Plusieurs fois annoncé sur la pente descendante, sa réponse a toujours été tranchante. Ces bavardages l’exaspèrent. Il répond de la plus belle des manières. 6 podiums sur 7 tournois en 2018 ! Retour sur une fabuleuse carrière en amont des Mondiaux de Madrid (6-11 novembre).
Par Ludovic Mauchien / Photos : Kphotos
Il n’est pas très content depuis quelque temps. Certaines choses commencent même à l’énerver sérieusement, surtout depuis deux ans et l’avènement du Karaté olympique. Il appelle ça les « commérages », ceux qui répètent inlassablement qu’il est (trop) vieux, que ce sera (trop) dur pour lui de gagner à Tokyo, que vu son âge, c’est (trop) mission impossible. « Oui, cela commence un peu à me fatiguer, tous ces commérages. A 33 ans, c’est vrai, on est un peu âgé pour le sport de haut niveau. Mais c’est au sportif de faire le maximum pour être prêt ».
C’est l’unique fois où il en a parlé. C’était en septembre, à l’occasion de l’Open de Bakou. Son discours, il a toujours préféré le dispenser sur le tatami. Et pour un mec fini, rouillé, usé par 15 années de labeur dans le monde entier, il a répondu par la meilleure des manières. Il vient tout simplement de traverser la meilleure année de sa carrière !
En 2018, avant même les Championnats du monde à Madrid (6-11 novembre), Rafaël Aghayev a déjà remporté 6 médailles dont 3 en or. Outre son 11e (!) titre de champion d’Europe, il a gagné les K1 de Dubaï et Rabat, a été finaliste à Paris et Berlin et pris la 3e place à Rotterdam. Au passage, il écrase le circuit K1 et s’octroie le titre de « Grand Winner » haut la main.
La « Panthère » (son surnom et animal préféré) bondit toujours, rebondit plus exactement car ce n’est pas la première fois qu’il est annoncé en souffrance. Depuis son 1er titre de champion d’Europe en 2004 (-65 kg), pour sa 1ère participation à 19 ans où il prive le Français Alex Biamonti d’un 10e sacre (3-0 en finale), le petit lutin du Caucase a vécu plusieurs périodes, qui correspondent aussi à différents Karaté. Mais il y a finalement toujours eu une constante : l’excellence.
IL AIME PROVOQUER, JOUER DE L’INTOX, FAIRE DOUTER
Il demeure invaincu pendant quatre ans, de 2004 à 2008, jusqu’à une finale européenne face à l’Espagnol Martin Vasquez en -70 kg, mais il gagne en toutes cat’ auxquels il se fait toujours un plaisir de participer. Il est sûr de sa force même si celle-ci, avec son 1,68 m, ne saute pas aux yeux. Mais c’est justement de ses éventuelles faiblesses qu’elle provient. Déplacement rapide, changement d’axe, vivacité, technique maîtrisée, il utilise ses atouts au maximum. Il est plus petit ! Et alors ? Il est plus rapide, plus vif et ses appuis sont plus solides. Il est trapu ! Il fut l’un des premiers à exploiter la règle favorisant l’enchaînement balayage-frappe. Il aime aussi provoquer, jouer de l’intox, faire douter son adversaire. Ceux-ci tombent dans le piège. C’est leur problème.
7 fois champion d’Europe d’affilée, de 2004 à 2010, il devient le corecordman du nombre de titres de champion du monde à Belgrade fin 2010. Après 2006 (-70 kg) et 2008 (-70 kg, Open), l’Azerbaïdjanais rejoint la Néerlandaise Van Mourik dans l’histoire en remportant sa 4e médaille d’or mondiale individuelle, tout en menant son équipe nationale en finale.
Nous avions recueilli ses premiers mots le 30 octobre 2010 dans la foulée de son titre : « Je suis l’homme le plus heureux de la terre. Mais ce n’est pas ma dernière victoire. Dès que je rentre en Azerbaïdjan, je retourne au Dojo pour m’entraîner encore et encore ».
IL GAGNE SON 5e TITRE 4 ANS APRES SA FINALE PERDUE
Puis arrive 2011 et 2012. Il ne fait « que » 3e aux Championnats d’Europe. C’est annoncé, c’est le début de la fin… Mais la question du moment est surtout : va-t-il remporter son 5e titre de champion du monde à Bercy, ce qui serait unique dans l’histoire ? Son sempiternel adversaire, l’Italien Busa, va le priver du « Big 5 » en le dominant en finale.
Rafaël Aghayev est touché. En 2013, il va gagner les Championnats d’Europe mais il n’illumine plus les tatamis. Puis il va se blesser au genou. Il traverse l’année 2014 en fantôme, absent des Championnats d’Europe et des Mondiaux. Il a alors 29 ans. Va-t-il s’en remettre ? Beaucoup doutent, certains le souhaitent.
Lui prend son mal en patience. Ce 5e titre de champion du monde, il le veut ! Sa rééducation et sa préparation sont millimétrées, comme à l’accoutumée. Il ne néglige jamais rien. Il revient en 2015… Champion d’Europe, vainqueur des Jeux Européens ! Bis repetita en 2016 où il gagne son 10e titre continental (unique dans l’histoire) avant de pointer à Linz.
Il est affûté. Il est en finale, 4 ans après sa défaite face à Busa. En face, l’Egyptien Abdel Rahman. 10 ans après son 1er titre, 6 ans après le dernier, l’Azerbaïdjanais bat de main de maître l’Egyptien (4-1) et devient champion du monde pour la 5e fois, l’œil explosé et fermé tel un guerrier des temps anciens. Il est seul au monde. Il est unique. Il réalise un exploit fabuleux rien que par l’abnégation, le courage, la patience, la volonté, et la force de briser les vents contraires dont il a fait preuve les années précédentes, en courbant l’échine, mais jamais trop.
A Linz, entre pleurs et rires, il nous déclarait quelques minutes après son titre : « Je suis comme un petit enfant. Cela se passe comme dans mon rêve. J’ai travaillé 4 ans pour ce moment. Je suis trop heureux ! Personne ne l’a fait avant moi ! Je n’ai pas de mots pour décrire ce que je ressens. Je veux remercier tous les gens qui m’ont aidé et supporté ».
INTELLIGENCE SITUATIONELLLE ET PRECISION TECHNIQUE
En 2016, il a 31 ans, il a tout gagné, il a battu tous les records possibles et inimaginables. Qu’est-ce qui pourrait bien motiver encore Rafaël Aghayev ? Le seul trophée qu’il n’a pas remporté : le titre de champion olympique.
2020, c’est loin… Il aura 35 ans. Son corps commence à donner des signes de fatigue. Il faut gérer ! En 2017, il est très discret, ne disputant que deux tournois pour… deux médailles (1er à Rabat, 3e Istanbul). Les « gossips » repartent de plus belle. C’est là que cela a réellement commencé à l’énerver. Dès janvier 2018, il est dans les starts ! Depuis ? 6 podiums en 7 tournois. Fallait pas l’énerver !!! « Les victoires renforcent mon mental », sourit le meilleur Karatéka de tous les temps.
Il n’est pas si courant d’avoir l’opportunité d’écrire l’histoire. Rafaël Aghayev a, lui, la possibilité de la ré-écrire à chacune de ses sorties. Ce sera encore le cas à Madrid, pour ses 6e Championnats du monde depuis 2006 (sa fédération était suspendue en 2004, il était blessé en 2014). C’est l’objectif de son année 2018, celui pour lequel tout le reste n’était que préparation. C’est aussi un passage essentiel pour son ultime défi : la médaille d’or à Tokyo.
Va-t-il réussir son incroyable défi ? C’est quand on le donne en mode mineure qu’il offre le meilleur. Ses deux dernières sorties ont été diversement analysées. A Berlin, il domine le Japonais Nishimura pour la 1ère fois en 4 rencontres (2-0 en ¼ finale) puis il s’incline en finale face à un jeune Nippon, Sakiyama, qui le malmène (défaite 6-3). Il va même se blesser au dos sur un balayage du Japonais, ce qui va handicaper sa préparation pendant quelques jours. Mais cela ne l’empêche pas de s’aligner à Tokyo mi-octobre. Il n’est pas à 100%. Il perd en ¼ contre… Nishimura (1-0). Mais le propre des Grands, c’est d’être prêt le jour J. Et ça, Rafaël Aghayev sait faire !
A 33 ans, sa vitesse d’exécution a peut-être un tantinet diminué (quoique… cela reste à démontrer), mais son intelligence situationnelle, sa précision technique, sa finesse stratégique font toujours merveille. Et il a toute l’expérience nécessaire pour en jouer. Et s’il était plus fort que jamais ?
RAFAEL AGHAYEV
Né le 5 mars 1985 à Sumgayit (Azerbaïdjan)
Taille : 1,68 m
Catégories : -65 kg, -70, kg, Open, -75 kg
Palmarès.
Championnats du monde. 1er en 2006 (-70 kg), 2008 (-70 kg, Open), 2010 et 2016 (-75 kg). 2e en 2012 (-75 kg).
Championnats d’Europe. 1er en 2004, 2005, 2007 (-70 kg + Open), 2008, 2009, 2010, 2013, 2015, 2016, 2018. 2e en 2008 (-70 kg). 3e en 2011, 2012.
Vainqueur des Jeux Mondiaux en 2013
Vainqueur des Jeux Européens en 2015
Vainqueur des Combat Games en 2013
Karate 1 : 12 podiums dont 6 victoires (3 en 2018)