Il aura tenté sa chance, aura sué de nouveau comme au bon vieux temps. Mais il n’aura pas réussi son défi de revenir au plus haut niveau après 15 ans de retraite pour disputer les JO de Tokyo. Son corps de cinquantenaire a dit stop. Christophe Pinna ne ressort pas indemne de son aventure olympique, physiquement comme mentalement. Il en a gros sur le cœur mais il ne regrette rien. Il s’en explique.

Par Ludovic Mauchien / Photos : Amandine Lauriol 


 

Quel regard portes-tu aujourd’hui sur ton aventure olympique ?

Je fonctionne par défi. Et c’était un défi, au même titre que traverser le désert en courant et en auto-suffisance alimentaire, comme je l’ai fait. Après, si cela peut fermer les bouches de certains, puisque j’entends dire : « ça ne servait à rien, de toute manière, il n’allait pas y arriver », l’intérêt d’un défi, c’est de ne pas être sûr de pouvoir le réaliser.

C’est ce qui est beau, sinon cela n’aurait plus de saveur émotionnelle. Je suis désolé ! Que tout le monde arrête de rêver alors ! C’est ça l’intérêt d’un défi, c’est que tu t’accroches à un rêve et que tu espères le réaliser.

On s’est tous dit qu’on aimerait être champion du monde. Mais ce n’était pas gagné d’avance. Un défi, c’est fait pour accrocher ton cœur, te lever tous les matins avec une énergie exceptionnelle pour réaliser ce défi ! C’est fait pour voir si tu as le courage de te lever le matin et de te mettre des coups de pieds au cul.

Dis donc… Tu es remonté…

Je m’adresse à ceux qui sont aigris et méchants par rapport à mon défi. Si la graine est dans ta tête et que tu te dis : « j’aimerais le faire », et que tu as un Christophe Pinna qui le fait, au bout d’un moment, tu deviens méchant contre lui, juste parce que tu as la graine mais pas les couilles de le faire. Voilà, c’est ce que je retiens de mon parcours. Les gens qui critiquent sont justement ceux qui n’ont pas eu 2 secondes le courage de se remettre en question !

Par contre, je ne critique absolument pas ceux ou celles de ma génération pour qui le fait d’apprendre que le Karaté devenait olympique ne les a pas secoués. Au contraire, j’aurais moi-même aimé ne pas être secoué. J’aurais préféré ! J’en ai parlé avec Gilles (Cherdieu), Mickaël (Braun), Romain (Anselmo)… Pour eux, la page est tournée, c’est génial !

Moi, malheureusement, une cicatrice que je croyais être complètement refermée s’est réouverte. C’est comme si tu avais perdu un trousseau de clés. Tu essaies de passer à autre chose mais, tous les 5 minutes, c’est : « ah ! je vais aller voir dans ce tiroir. Je suis sûr qu’elles sont là ». Et pendant 3 jours, tu cherches tes clés ! C’est ce qui m’est arrivé. Le Karaté olympique m’est rentré dans ma tête. J’ai fait partie de la génération qui a mis les anneaux sur le kimono !

« JE NE PENSAIS PAS QUE MON CORPS ALLAIT M’ABANDONNER »

A t’écouter, l’idée n’était pas super bonne…

Pour le moment, j’ai été archi négatif. Mais, dans cette aventure, humainement, j’ai vécu des choses énormes, surtout à l’international ! Quand on me redemande de combattre à Londres, de faire des stages… parce que j’insuffle une image dynamique. J’ai quand même 50 ans, je m’aligne, je m’entraîne, je n’ai pas gagné ce que j’aurais aimé gagner dans ces deux années mais, par contre, je n’ai pas été ridicule sur le tatami et pour autant, j’ai vraiment beaucoup souffert physiquement.

J’ai eu beaucoup de problèmes physiques ! En 2 ans, j’en ai eu bien plus que dans toute ma carrière sportive. C’est ma faute. J’ai fait des conneries. C’est la seule chose dont je suis amer, dont j’ai des regrets. Je ne pensais pas que mon corps allait m’abandonner. Je pensais que ma volonté et mon corps allait fonctionner dans le même sens. Mais, au bout de 8-9 mois d’entraînement, mon corps m’a dit : « démerde- toi, moi, je me pose. Ce n’est plus possible ». Il a fait un refus total. C’est très difficile quand tu as la tête qui part dans un sens et le corps dans l’autre.

Cette fois-ci, c’est certain, on ne te reverra plus en compétition ?

J’ai toujours un rêve olympique, mais il n’est plus essentiel. Le rêve est toujours aussi beau, mais il y a une acceptation. Un an en arrière, je ne voyais pas d’autres possibilités que d’aller aux Jeux olympiques. Tout était focalisé là-dessus. Mais, aujourd’hui, je ne suis plus en conflit avec moi-même, dans le sens où mon corps est ce qu’il est et que ma tête l’accepte. Quand il y a une dualité entre les deux, à un moment donné, tu galères ! Tu fais des conneries, tu te fais trop infiltrer, cela te retombe dessus… Mais c’est la vie (il rit) !

J’ai été beaucoup hospitalisé, je rééduque mon dos. Aujourd’hui, je me fais plaisir, le Karaté reste toujours une passion. Dire que l’on ne me reverra plus, je ne sais pas… je n’irais jamais aussi loin physiquement que j’ai été ces deux dernières années ! Jamais !